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La saison lyrique de l'Opéra de Lausanne s'ouvre cet automne sur un jumelage peu courant. Le facétieux Gianni Schicchi, troisième volet du triptyque de Puccini, se trouve couplé à Il Signor Bruschino de Rossini.
« Le lien que nous avons trouvé, établi, passe par le décor. »
Si plus d'un siècle sépare la genèse de ces deux œuvres – cent six ans exactement – les deux opéras en un acte ont toutefois en commun une verve burlesque marquée du sceau de la plus inaliénable italianité. Une seule et même distribution se met au service de ce diptyque lyrique enjoué. Les maîtres d'œuvre – maîtresses d'œuvre faudrait-il plutôt dire – Mariame Clément (mise en scène) et Julia Hansen (décors et costumes) nous révèlent quelques pistes de leur travail et racontent leur complicité dans les murs de l'institution lausannoise.
ResMusica : Comment ces deux ouvrages, qui ont en commun un côté burlesque à l'italienne, se correspondent-ils dans votre travail scénographique ?
Mariame Clément et Julia Hansen : C'est le problème de base que nous nous sommes posé. Nous voulions un lien, mettre en scène une soirée et non deux opéras dissociés l'un de l'autre. Nous avons cherché, aussi, à ne pas plaquer un concept qui rende compte des deux opéras et à ne pas assujettir un ouvrage à l'autre.
Il s'agit de deux comédies italiennes que finalement peu de choses relient à part quelques éléments structurels classiques, comme la présence d'un couple d'amoureux. Le lien que nous avons trouvé, établi, passe par le décor, quasi-unique pour les deux pièces. Disons plus exactement que le lieu est unique. Il y a en revanche deux époques. Gianni Schicchi eut été relativement facile à moderniser. Nous avons cependant préféré un Schicchi d'époque ; d'époque par l'esprit, l'atmosphère qui y règne et non d'un point de vue historique, pittoresque. Les références à la culture florentine dans cette œuvre sont plus que simplement anecdotiques. Je pense qu'il y a des liens très forts avec cette culture, des liens voulus par Puccini et son librettiste Forzano. L'œuvre est conçue comme un objet culturel italien : Giotto, Dante y sont mentionnés explicitement. Et l'air du ténor est dédié à une ville ! Par notre travail, nous avons cherché à souligner cet aspect « petit bijou culturel ».
RM : Quelles pistes de votre travail pouvez-vous déjà dévoiler ?
MC et JH : [sourire complice]. Bruschino a été composé avant Schicchi, mais se passe après. Il vient en outre avant dans la soirée – ce qui est logique d'ailleurs – si bien que nous avons décidé de jouer sur ce rapport au temps. D'où l'idée de jouer sur les époques. L'opéra de Rossini se déroulera dans une époque contemporaine alors que celui de Puccini, on l'a dit, aura pour contexte celui de l'époque du livret. L'histoire de Il Signor Bruschino se passe dans la même maison que celle de Schicchi. La demeure des Donati est devenue au fil du temps un édifice communal, une mairie, comme souvent du reste en Italie. En passant d'un ouvrage à l'autre, on remonte dans le temps en même temps qu'on entre littéralement à l'intérieur du décor alors que chez Schicchi, on entre « dans les tableaux », partie intégrante des décors. Entre les deux ouvrages, on peut s'imaginer qu'il s'agit finalement d'une seule et même famille à des siècles d'intervalle. On retrouve des tics, des traits de caractère communs entre les personnages des deux ouvrages. Des petits ponts ont ainsi été tendus entre les deux opéras. Nous jouons avec des clins d'œil. Ces ponts, ces liens se veulent légers, ludiques. Le travail préparatif se révèle du coup très vivant. La distribution joue magnifiquement le jeu et s'enthousiasme pour ces petits éléments anecdotiques et cherche comment les rendre de la meilleure manière qui soit.
RM : Les costumes visent-ils à renforcer la verve comique ou plutôt à souligner des facettes psychologiques des personnages ?
MC et JH : Parfois des détails concrets se retrouvent d'un personnage à un autre. Ce peut être, par exemple, un bijou qui a traversé le temps. Les costumes de Bruschino sont contemporains et ceux de Schicchi médiévaux mais stylisés. Les couleurs sont très claires, chaque personnage a sa couleur, tout comme les couples. Des couleurs pastel, légères ou plus marquées selon les caractères de chacun. Cette idée est gardée dans les deux opéras. Nous avons commencé avec Schicchi pour les choix des couleurs. Nous avons beaucoup observé la peinture italienne du XIIIe au XVe siècle pour en dégager ces essences de couleur. Les tons restent assez mats. Il a été étonnant de voir comment ce choix de couleurs, de costumes passe admirablement d'un opéra à l'autre, et comment la signification, la symbolique des couleurs changent avec les époques.
RM : Comment s'articule votre collaboration artistique ? Comment vos activités se nourrissent-elles l'une l'autre ?
MC et JH : Nous avons vraiment travaillé ensemble. Et nous nous demandons du reste comment il est possible de travailler autrement ! Travailler avec une telle complicité facilite grandement le travail. Nous nous sommes vues tous les jours : qu'il s'agisse de la conception des décors ou des aspects liés à la mise en scène, nous étions toutes les deux présentes. Ainsi nous a-t-il été possible de comprendre au fur et à mesure l'entier des besoins que chacune de nos activités appelait. Cependant, il est important que chacune garde sa souveraineté propre.
RM : Des projets communs après Lausanne ?
MC et JH : Rien de défini. Quand on travaille ensemble comme ici à Lausanne – il s'agit de notre première grande collaboration – tout est intéressant. Nous avons bien sûr nos affinités propres, qu'il s'agisse de grandes choses comme de plus petites. Ce qu'il y a de fantastique dans ce métier, surtout, c'est de découvrir les œuvres à leur contact.
RM : Un rêve ?
MC et JH : [rires] … Un rêve commun serait de faire un Wozzeck.