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Carmen aux arènes d’Avenches: Public, prends garde à toi !

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Avenches. Festival d’Opéra d’Avenches. 10-VII-04. Georges Bizet : Carmen. Nouvelle production de l’Opéra d’Avenches. Mise en scène, costumes, décors et éclairages : Renzo Giacchieri, assisté de Carlo Ceschel et Laurent de Bourgknecht. Chorégraphie (Flamenco): Adriana Maresma Fois. Carmen : Sarah M’Punga. Micaëla : Maria Luigia Borsi. Don José : Carlo Guido. Escamillo : Giancarlo Pasquetti. Frasquita : Julia Milanova. Mercédès : Claude Eichenberger. Le Dancaïre : Fabrice Raviola. Le Remendado : Andreas Scheidegger. Zuniga : Miguel Sola. Morales : Marc Olivier Oetterli. Chœur du Festival et chœur des enfants d’Avenches : Pascal Mayer. Orchestre du Festival. Direction : Antonio Pirolli.

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Avenches est une petite bourgade sise à quelque cinquante kilomètres de Lausanne. Ses très belles arènes romaines sont l'occasion de nombreuses manifestations et notamment, depuis 1995, d'un festival d'opéra.

carmen_avenches_1-300x438Avenches remplit la vocation d'amener à l'opéra — et peut-être plus largement au théâtre — un public croissant, qui profite tout à la fois de la beauté du lieu, d'une acoustique de plein air tout-à-fait acceptable, d'un accueil « bonne franquette » et, last but not least, des opéras qui y sont montés. Pour des raisons économiques évidentes, Avenches concentre son activité autour des ouvrages les plus populaires. Nabucco, Rigoletto, Tosca, La Bohème, Guglielmo Tell, Carmen, Aïda, La Flûte enchantée, La Traviata, Turandot, Le Barbier de Séville, se sont ainsi succédé jusqu'à aujourd'hui à raison d'un ou deux opéras par édition. L'écueil, cependant, est de toujours servir les mêmes ouvrages, ce après quelques années d'existence déjà. En l'occurrence, Carmen avait été monté à Avenches en 1996 et pour l'an prochain, Aventicum Opéra annonce Nabucco, monté pour sa part il y a seulement cinq ans. Situé presque aux confins de la Suisse allemande et de la Suisse romande, il n'apparaît pourtant pas très risqué en termes de fréquentation de programmer, par exemple, plus d'ouvrages en langue allemande, potentiellement nombreux. Manifestement, la direction artistique ne l'entend pas ainsi…

« L'association Aventicum Opéra s'est notamment fixé comme objectifs d'être une référence et un rendez-vous annuel incontournable en matière d'opéra et de mettre celui-ci à la portée du plus grand nombre dans le cadre magique des Arènes d'Aventicum. Sa volonté est également de s'assurer la participation de très grandes voix de l'opéra, réputées au niveau mondial. », trouve-t-on au surplus sur le site présentant ce festival lyrique. Si l'on souscrit volontiers à ces idées, il est permis d'émettre quelques doutes au sujet de la qualité des productions qui y sont données et notamment de la Carmen de cette cuvée 2004. Lorsque l'on cherche à se profiler parmi les meilleures scènes mondiales et que l'on pratique des prix comparables à ceux en vogue au Grand Théâtre de Genève, par exemple, on se doit d'offrir à son public (env. 45'000 personnes par an) une affiche renouvelée ainsi que des productions d'une teneur intrinsèque nourrie par de réelles intentions artistiques. Le cadre a beau être unique, celui-ci ne fait pas tout !

Qu'Avenches ne veuille pas mener à bien des expérimentations théâtrales sujettes à la controverse, cela se comprend. Lausanne et Genève remplissent d'ailleurs ce rôle à merveille ; surtout cette saison… Ainsi s'accommodera-t-on volontiers d'une scènographie plus conventionnelle. Mais de là à aligner les conventions les plus insipides et proposer une mise en scène dénuée d'intentions, il y a un pas qu'il serait de bon aloi de ne plus franchir. Surtout quand les éléments factuels du récit se trouvent eux-mêmes mal ficelés.

Le décor unique, flanqué d'arrangements floraux, accueille une direction d'acteurs des plus fades. Le premier acte voit l'ensemble du plateau se déplacer d'un pas alangui de convalescents de sanatorium. On ne comprend par exemple pas bien ce qui pousse Micaëla à fuir ces soldats de la garde, qui paraissent plus engoncés qu'entreprenants à l'égard de la jeune fille. La mollesse prévaut au cours de ce premier acte. Tout au long de l'ouvrage, quelques chorégraphies pittoresques égayeront occasionnellement les scènes très peuplées, permettant ainsi de rompre quelque peu avec le statisme ambiant. Le deuxième acte est heureusement plus abouti, avec son décor d'auberge et ses lumières rougeoyantes que dispensent les torches disposées en surplomb du plateau. La rixe entre Zuniga et Don José s'y déploie de manière plus crédible. Lors du troisième acte, on ne peut en revanche qu'être affligé devant le simulacre théâtral qu'est le coup de feu tiré par Don José sur Escamillo. Le torero, à dix mètres de Don José, essuie un tir sans broncher. Les deux chanteurs cheminent ensuite l'un derrière l'autre sans mot dire, tranquillement, en file indienne et rejoignent comme deux compères de toujours le devant du plateau. Cela est d'autant plus consternant qu'à aucun moment de l'opéra, la mise en scène ne vise à souligner de manière un tant soit peu personnelle la psychologie des personnages principaux.

Le dernier acte est lui aussi d'une facture particulièrement décevante. Un drapeau rouge stigmatisé d'une tête de taureau évoque à lui seul la corrida qui se joue. La place animée de la ville andalouse est rapidement vide ou peu s'en faut. Deux chevaux du haras fédéral voisin viennent rapidement faire un tour de piste pour réveiller le public. Puis, l'ensemble des figurants et des choristes se retrouve sur la passerelle et tourne le dos la plupart du temps au public dans un ordonnancement approximatif pour assister à une hypothétique corrida. Pendant ce temps, Carmen meurt assassinée et deux gardes miment avec un apprêt redondant l'arrestation du méchant Don José, faisant de cette scène un ultime tableau convenu. «[…] une mise en scène de qualité, des décors somptueux, font maintenant d'Avenches un rendez-vous obligé pour tous les amateurs d'art lyrique en Suisse et bientôt de l'étranger.», finit-on de lire sur le site internet précité… Il est permis de sourciller.

Et la distribution de ce 10 juillet (il y en a trois pour l'ensemble des représentations) fait-elle oublier les manquements théâtraux ? En partie seulement. Le rôle-titre et celui de son antinomique Micaëla sont tenus par des chanteuses possédant des voix séduisantes. Autant l'Italo-Zaïroise Sarah M'Punga (Carmen) que Maria Luigia Borsi (Micaëla) donnent à entendre un chant doté de belles inflexions. Si le premier acte laissait paraître chez la soprano une émission encore un peu confidentielle, l'air « Je dis que rien de m'épouvante… » a par contre été affirmé et servi avec souplesse et une grande élégance vocale. Hélas, l'élégance n'est que vocale, tant le français est estropié, au point qu'aucun mot n'est compréhensible. Ce défaut est encore plus marqué chez Sarah M'Punga qui chante ses tirades dans un improbable espéranto. Dommage compte tenu de la présence vocale et scénique de la cantatrice. Et d'autant plus inacceptable en l'état qu'aucun surtitre ne vient assister le spectateur. Du côté des hommes, le Don José de paraît d'abord assez terne et manquant de rondeur avant de gagner en souplesse et en autorité au fil du temps. Giancarlo Pasquetto chante Escamillo avec un accent méridional marqué, mais aborde par contre le texte français avec une diction claire, qualité que l'on retrouve plus avantageusement encore chez Don José. Le toréador s'est par contre trouvé en décalage avec l'orchestre au second acte. Zuniga, le Dancaïre, le Remendado et surtout Moralès convainquent pleinement alors que les Gitanes ne sont pas toujours parfaitement intelligibles.

Le Chœur du Festival, constitué de professionnels et d'amateurs triés sur le volet, est en constant progrès depuis ses débuts. Ses interventions sont sûres et la couleur d'ensemble de plus en plus homogène. La bonne surprise de cette Carmen — car il y en a tout de même une — est constituée par l'Orchestre du Festival, formé à l'occasion de cette dixième édition et appelé à regagner la fosse avenchoise au cours des prochaines éditions. La phalange est précise et possède une cohésion réjouissante. La direction d'Antonio Pirolli est alerte, sans précipitation, et permet des moments de très belle musique instrumentale.

Crédit photographique : © Marc-André Guex.

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