Fin de saison de l’ONF avec Matthias Goerne et Bernard Haitink
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 01-VII-2004. Gustav Mahler : Kindertotenlieder ; Symphonie n°5 en do dièse mineur. Matthias Goerne, baryton. Orchestre National de France, direction : Bernard Haitink.
L'ultime concert de la saison 2003/2004 de l'orchestre National de France — retransmis en direct sur France-Musiques — s'est déroulé bien évidemment dans un théâtre des Champs-Élysées plein à craquer. Comment pourrait-il en être autrement avec en soliste un des grands spécialistes du lied et à la direction un monstre sacré du milieu musical ?
Matthias Goerne avait déjà conquis le public parisien il y a un an dans ce même lieu avec le même orchestre avec des extraits du Knaben Wunderhorn dirigés par Paavo Järvi (lire l'article). Le miracle s'est reproduis un fois de plus, par sa diction sans faille et une aura exceptionnelle, dégageant de ces Kindertotenlieder un pathos et un désespoir insoutenables, loin de toute mièvrerie et sentimentalité pseudo-post-romantiques. Un miracle ne se produit jamais seul, et l'orchestre, maîtrisé par Bernhard Haitink, contribue à cette réussite et homogénéise une partition à l'instrumentation éclatée, éparpillée et qui se refuse à tout souvenir populaire (point de valse ni de ländler, nous sommes loin des effets ironiques du Knaben Wunderhorn). Les tempi plutôt lents et ce quasi-refus de toute nuance trop exacerbée créent un climat de suspension, d'apesanteur et de vertige propice à l'évocation de cette œuvre prémonitoire dans le destin de Gustav Mahler. « Ne redoutant nulle tempête, protégés par la main de Dieu, ils reposent comme dans le sein de leur mère. » ; cet adieu final d'un père à ses enfants ne pouvait trouver mieux qu'une voix de baryton comme moyen d'expression. Les Kindertotenlieder ont été achevés et créés en 1904. Trois ans plus tard le compositeur perdait sa fille aînée. Le médecin appelé au chevet d'une Alma Mahler dépressive décèle chez son mari les premiers signes de la maladie cardiaque qui l'emportera quatre ans plus tard. Ce destin familial tragique, allié à une période difficile de sa carrière de musicien achevèrent de convaincre le compositeur d'accepter la proposition du Metropolitan Opera de New-York.
La biographie de Mahler n'est pas à proprement parler un exemple de joie de vivre et se ressent dans presque chacune de ses œuvres. Outre ces Kindertotenlieder prémonitoires, la Symphonie n°5 est le cri à la vie d'un homme ayant échappé de peu à une fin certaine et qui veut renouer avec le bonheur. En 1902 le compositeur avait eu une grave hémorragie qui failli l'emporter, on y décèle dans cette œuvre ce mélange d'espoir et d'oppression autant inaltérables l'un que l'autre. L'appel initial de trompette (on ne peut passer sous silence l'excellent Marc Bauer, trompette solo du National) n'est pas sans évoquer la « Marche Nuptiale » de Mendelssohn, clin d'œil à son récent mariage avec Alma Schindler, dédicataire de l'œuvre, qui l'aida dans l'orchestration de sa symphonie et ce malgré le titre de ce premier mouvement, Trauermarsch. Haitink agit avec le National sur le public tel un rouleau-compresseur. La salle est littéralement submergée sous ce flot polyphonique, augural d'une série de symphonies purement instrumentales, détachées du monde du lied. Les trois premiers mouvements s'enchaînent sans répit, dans un kaléidoscope d'idées musicales sans cesse changeantes, de l'imposante introduction au Scherzo central en passant par le tumultueux Sturmisch Bewegt (profitons en pour saluer l'excellent cor solo Vincent Léonard). Public et musiciens retiennent leur souffle avant d'entamer le célébrissime Adagietto, poignant morceau dévolu aux cordes seules, d'un développement mélodique d'une lenteur extrême, immortalisé par Lucchino Visconti dans Mort à Venise. Le Final, d'où ressortent des réminiscences du Knaben Wunderhorn, semble presque incongru par sa vitalité et son optimisme, sorte de chant de victoire face à un destin que l'on sait implacable.
Bernard Haitink sera de retour dans exactement un an, dans le même lieu avec le même orchestre. Au programme : Debussy (la Mer) et Chostakovitch (symphonie n°8). Quand un miracle n'arrive jamais seul….
Crédit photographique : (c) DR
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 01-VII-2004. Gustav Mahler : Kindertotenlieder ; Symphonie n°5 en do dièse mineur. Matthias Goerne, baryton. Orchestre National de France, direction : Bernard Haitink.