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Les organologues sont assez d’accords sur les faits suivants : le violon ou son prototype apparaît au début du XVIe siècle et est utilisé presque uniquement par les pauvres, les plus aisés jouant eux sur des instruments à cordes tels que les violes ou le luth. Cela soulève une question importante : pourquoi au début du XVIe siècle, le violon, invention su géniale autant sur le plan scientifique que musical, est si mal considéré et doit attendre un siècle pour être enfin utilisé en musique savante ? Pour accéder au dossier complet : Petites histoires du violon
Dans l’article précédent, nous suggérions que le violon et en particulier son étalon, « le Stradivarius », véhicule un mythe. Dans l’imaginaire collectif ainsi que dans de nombreux ouvrages sur le sujet, il est souvent présenté comme « le roi des instruments », le plus parfait, le plus beau, le plus expressif et le plus représentatif de l’humain, tant par sa forme que par les sons qui s’en dégagent.
Dès l’antiquité, l’instrument à cordes a sa propre mythologie. L’histoire de Marsyas et d’Apollon est sur ce point très claire. Marsyas est un joueur d’instrument à vent (selon les versions, une flûte ou une cornemuse) et défie Apollon, joueur de lyre, pour savoir qui, de l’instrument à corde ou à vent, aura le plus la faveur des dieux. Le duel prend un virage quand Apollon retourne sa lyre et peut continuer à en jouer, ce que Marsyas est incapable de faire. La conclusion est la suivante ; l’instrument à corde est supérieur car il ne déforme pas le visage de celui qui en joue peut de plus chanter en même temps. On peut aussi évoquer Orphée qui, toujours avec une lyre, charme les animaux, les humains et les dieux. Notons que la lyre de l’antiquité est souvent représentée par une carapace de tortue montée de cordes — le nom savant de la lutherie est » la chelonomie » du grec chelos (carapace de tortue), évoquant à la fois la force, le bouclier, l’enfermement, et le repli sur soi. Un des précurseurs immédiats du violon est « la lyra de braccio » — lyre à bras — dont le nom, sinon l’instrument fait explicitement référence à la lyre antique. On peut aisément supposer que le violon à sa création, véhicule avec lui le mythe des instruments à cordes en général, même s’il paraît paradoxal qu’il ait du attendre près d’un siècle pour acquérir ses lettres de noblesse dans un opéra qui s’appelle comme par hasard, l’Orphéo de Monteverdi (Voir « le violon projet politique »).
Mais si le violon se distingue des autres instruments, ce n’est nullement à cause de ses références mythologiques — valables pour tous les instruments à cordes — ni par les qualités supposées que nous évoquions en introduction. Tous les instruments sont des représentations explicites ou symboliques du corps humain. Son timbre et ses effets sont comparés à ceux de la voix humaine. Mais que dire des instruments à vent (saxophone, hautbois, etc.) qui peuvent l’être tout autant ? Et quand bien même ce serait le cas, le fait d’imiter la voix ne saurait être considéré en soi comme un critère de valeur musicale.
Il existe néanmoins trois signes distinctifs qui font du violon un instrument à part :
1. c’est celui qui résiste le plus au temps.
2. c’est celui qui peut coûter le plus cher.
3. c’est celui qui demande le plus de travail pour son apprentissage.
Le temps, l’argent et le travail. Nous avons là, la définition exacte du capitalisme. Si mythe du violon il y a, c’est ici que nous devons le chercher. Il naît en même temps que le capitalisme, à la suite d’idées humanistes et de la Reforme, il se satisfait de ses intérêts au cours de son histoire. Au XVIe siècle, il sert à acheter la paix sociale par le travail des « pauvres » et devient un médiateur de prestige pour affirmer le pouvoir de notoriété des « riches » quand ceux-ci se procurent les spécimen les plus chers.
On dit souvent que l’instrument de musique est une machine à produire des sons. D’un point de vue capitaliste, le violon en est un de ses vecteurs les plus représentatifs ! Il pousse au travail de façon volontaire, génère du profit (financier, politique ou social) et c’est sans doute la seule machine qui au lieu de se déprécier, s’user, génère de la plu value avec le temps. Ce n’est pas par hasard si la plupart des violons de Stradivarius appartiennent aujourd’hui à des multinationales (LVMH, AXA, Ford au début du Xxe siècle …) qui font du mécénat en les prêtant à des musiciens connus ou en passe de le devenir.
Ce sont vraisemblablement les valeurs de travail, d’argent et de temps qui apportent du profit individuel financier, social ou artistique et qui, inconsciemment, nous habitent plus ou moins. L’ouvrage de Bernard Lehmann, « L’orchestre dans tous ses éclats », en est une illustration. Alors que ses parents et lui-même l’imaginaient soliste international, « X », un violoniste d’orchestre de rang, ne comprend pas pourquoi il est moins bien payé que le premier trompette solo alors qu’il a vraisemblablement plus peiné pour apprendre son métier. Son violon, d’un prix pourtant très en deçà d’un Stradivarius, coûte quand même beaucoup plus cher que la meilleure des trompettes …
Voilà un personnage qui aurait vocation à entrer dans la mythologie !
Sources
1. André Schaeffner. Origine des instruments de musique. Introduction ethnologique à l’histoire de la musique instrumentale – Mouton Éditeur – 1968.
2. Bernard Lehmann. L’orchestre dans tous ses éclats. Ethnographie des formations symphoniques. Éditions « La Découverte » – Textes à l’appui/Enquêtes de terrain – 2-7071-3603-4. Janvier 2002.
3. Bernard Maris. Anti manuel d’Économie. Éditions Bréal – 2003.
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