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Rennes. Opéra. 28.XII.2003. André Messager : Passionnément. Caroline Mutel , Marie-Josée Lord, Sylvie Athaparro, Boris Grappe , Mathieu Lécroart, Jacques Duparc, Gilles Bataille, Mickaël Duglué… et le chien Napoléon. Mise en Scène : Jacques Duparc ; Orchestre de Bretagne : Gildas Pungier (direction musicale).
L'opérette a t-elle encore un avenir ? Le genre semble a priori en voie d'extinction. A l'heure actuelle, peu de pièces bouffes sont créées ; il faut en effet remonter au Muet au Couvent de Janos Komives (1994), ou au Jeune Lord d'Hans Werner Henze (1965) pour citer ces quelques exemples marquants.
Rares sont les théâtres se risquant à programmer l'opéra comique intégralement sériel de Schoenberg, Du Jour au Lendemain — bizarre opérette intellectuelle, pétillante fantaisie musicale. La plupart des ouvrages français de l'entre-deux-guerres tel Passionnement (1926) de Messager accumulent les intrigues galvaudées. Les textes poussiéreux — du Feydeau musical — multiplient les sempiternelles histoires d'adultères avec leur lot de maris cocus et d'amants dans le placard. L'orchestration, superficielle, se borne à accompagner vaille que vaille des refrains médiocres. La musique proprement dit ? Faible, gentiment inconsistante. La fin d'année est propice à ce type de « primesauteries ». Quel dommage, quand certains musiciens cultivent en permanence un impératif d'exigence, de bon goût, pour offrir des divertissements exubérants, enclins à la saine griserie, savamment déjantés. Ceux-ci contournent l'écueil de la vulgarité : ainsi Offenbach, ou… Bizet (Le Docteur Miracle). L'auteur de la Périchole reste une valeur sûre : la Belle Hélène , ou le rare Docteur Ox développent un sens de l'élégance mélodique (y compris dans le second degré) superposé aux situations parodiques et anachronismes loufoques.
Rennes, donc, choisit d'exhumer une comédie légère — très légère — de Messager, dont on fêtait en 2003 le cent cinquantenaire de la naissance. On doit à ce dernier la création (mouvementée) de Pelléas et Mélisande à l'Opéra Comique, ce qui le distingue pour ses talents indéniables de chef. Il a contribué à promouvoir de nombreux musiciens français, à défendre la cause de Wagner, celles de Strauss et Moussorgsky. Messager a commis un corpus important de piécettes frivoles — la Basoche, Véronique, Coup de Roulis et Fortunio (gravé par Gardiner avec les forces vives de l'Opéra de Lyon), entre autres. L'engouement du public des Années Folles à l'égard de ces bluettes doucereuses est notable. Cela est moins vrai aujourd'hui : les livrets apparaissent irrémédiablement datés. Messager appartient à cette génération de compositeurs besogneux comme Maurice Yvain (Pas sur la bouche, remis à l'honneur par le dernier film d'Alain Resnais), Christiné (Phi-Phi, Dédé), et — dans une certaine mesure seulement — Reynaldo Hahn. Dans Passionnément , on subit les mésaventures de parvenus américains richissimes (affublés d'une camériste nymphomane) à bord d'un yacht de luxe. A la faveur d'une avarie, ce petit monde « échoue » à Deauville. Et la compagnie de s'encanailler dans les casinos de la célèbre station pour « s'en fourrer, fourrer jusque là », comme dirait l'autre ! En toile de fond, des quiproquos faciles, ponctués de sous-entendus égrillards, saupoudrés de gags éculés. A dose homéopathique, cela peut passer. Au bout d'un moment, on sature. Pensons aux comédies musicales d'outre Atlantique de la même période (à quelques années près) — Show Boat (Jerome Kern), Kiss me Kate , Anything Goes de Cole Porter, ou Lady Be Good de Gershwin —, qui se situent à un autre niveau. Par delà l'argument ténu, l'inspiration mélodique est bien là ; au plan harmonique, les rythmes sautillants, dévergondés de jazz, de blues ou de furieux fox-trot confèrent à l'ensemble une dignité, une « classe » évidente. Il y règne une authentique atmosphère festive, portée à incandescence par une orchestration fouillée et raffinée. Ce qui fait défaut à leurs homologues françaises.
Pourtant, l'équipe de solistes (pas de choeurs ici, un grand ensemble plutôt réussi au II, « nous apportons vos valises ») réunis à Rennes est épatante. Des acteurs-chanteurs dans l'âme. Dans les oeuvres de la période americaine de Weill, Street Scenes ou The lady in the Dark (répertoire plus tardif) ce très sympathique sextuor serait inoubliable. Surtout la mezzo Sylvie Athaparro, qui illumine les récentes Cantates de Bacri. Timbre diapré, aigu solaire, grave somptueux et naturel ; et aussi tempérament volcanique, incroyable aplomb scénique ! Elle déploie une technique irréprochable dans la valse arpégée du III « N'imaginez pas ». Ensuite, le baryton séducteur et séduisant en diable de Boris Grappe (mémorable Guglielmo ici même en mai dernier) ; lorsqu'il aborde le fameux air qui donne son titre à l'ouvrage, il arbore une voix longue, à l'émission conquérante, osant d'imperceptibles nuances dans l'aigu. En somme, un chant aristocratique, un panache mozartien — pour un morceau qui ne mérite certes pas autant de faveurs ! L'orchestre de Bretagne affiche une belle vigueur et éclat ; ainsi que des cordes à la mélancolie douce. Il parvient à insuffler une relative dimension poétique dans le court prélude du III. Dans Candide de Bernstein (prochainement sur la même scène rennaise), il nous entraînera dans l'univers clinquant des « shows » et lyrics proches de l'esprit de Broadway.
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Rennes. Opéra. 28.XII.2003. André Messager : Passionnément. Caroline Mutel , Marie-Josée Lord, Sylvie Athaparro, Boris Grappe , Mathieu Lécroart, Jacques Duparc, Gilles Bataille, Mickaël Duglué… et le chien Napoléon. Mise en Scène : Jacques Duparc ; Orchestre de Bretagne : Gildas Pungier (direction musicale).