Luciano Berio – Sequenze par les solistes de l’Ensemble Intercontemporain
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Paris. Amphithéâtre de la Cité de la Musique. 9.XI.2003. Luciano Berio, Sequenze II, VI, X, VII, IV, VIII. Solistes de l’Ensemble Intercontemporain : Frédérique Cambreling, harpe ; Christophe Desjardins, alto ; Jean-Jacques Gaudon, trompette ; Didier Pateau, hautbois ; Michael Wendeberg, piano ; Jeanne-Marie Conquer, violon.
« Sequentia sequentiarum, quæ est musica musicarum secundum Lucianum » – « la séquence des Séquences, qui est la musique des musiques selon Luciano » (Eduardo Sanguinetti) : Luciano Berio s'est plusieurs fois expliqué sur l'entreprise de ses Sequenze, qu'il a poursuivie avec constance pendant trente ans ; sur leur « processus d'assimilation, de transformation et de dépassement des aspects instrumentaux traditionnels », sur leur ambition de « préciser et de développer mélodiquement un discours harmonique »… Trop souvent, l'on ne garde en mémoire de ces pièces majeures du XXe siècle qu'une dimension prétendument expérimentale, traduite par ce cliché simpliste qu'elles « repoussent les limites de l'instrument ».
Si une exécution pouvait rendre pleinement justice à la splendeur de l'écriture des Sequenze, c'était bien celle des solistes de l'Intercontemporain, qui donnaient dans l'intimité de l'Amphithéâtre les bonnes pages de leur remarquable coffret chez DG. Parfaitement à l'aise, passant à travers les épreuves techniques épouvantables dont ces pièces sont hérissées comme par les confortables chemins d'une promenade de santé, ils les ont fait apprécier comme ce qu'elles sont : des chefs d'œuvre. On ne sait que louer le plus, de la précision diabolique dans les attaques de Jean-Jacques Gaudon, alliée à une souplesse de timbre qui nous a rappelé Antoine Curé, de la sonorité protéiforme de Didier Pateau, de l'archet souverain de Christophe Desjardins (le début de la Sequenza pour alto fut un très grand moment), de la sûreté et de l'aisance de Michael Wendeberg dans les déplacements de main – comme dans le dosage, si délicat à trouver, des dynamiques en lien avec le travail de la pédale tonale.
Une des dimensions capitales du travail de Berio est son souci, quand il part « des aspects instrumentaux traditionnels », d'inclure dans ces aspects l'image subjective que s'est donné l'instrument à travers son histoire, ce qui fait de certaines Sequenze (en particulier celles pour voix et pour trombone, qui n'étaient pas incluses dans ce programme) de véritables happenings. Même si ce concert s'insérait dans un ensemble nommé « Études et variations », le terme d'étude n'est pas à comprendre ici dans une acception de pure technique instrumentale mais aussi, comme l'a dit Berio, comme « le développement d'un commentaire entre le virtuose et son instrument ». À cet égard, peut-être aurait-on parfois pu attendre un peu plus de prise de risques de la part de Frédérique Cambreling – même si personne ne peut l'accuser de ressembler à ces « jeunes filles évanescentes, à moitié nues et aux longs cheveux blancs, capables seulement d'en tirer de séduisants glissandi », que Berio associe plaisamment à l'image « impressionniste » de la harpe. Mais c'était une position bien ingrate que d'avoir à commencer pareil concert et, par ailleurs, on se demande si l'instrument sur lequel elle a joué était ce qu'il y avait de mieux. En revanche, sur son Capicchioni, Christophe Desjardins s'est employé avec tout le « capriccioso furore » qui convenait, à sortir de l'image mollassonne traditionnellement associée à l'alto ; et le jeu de Jean-Jacques Gaudon avec le piano résonant se plaisait à inclure une dimension corporelle, voire spatiale, qui n'est pas étrangère à l'esprit du performance art.
Seuls ont parfois manqué ces moments fugitifs d'expressivité, voire de lyrisme qui, dans la musique de Berio, peuvent faire irruption sur quelques notes, et parfois au beau milieu des déferlements les plus torrentueux. Nous avons souvent admiré des passages brusques du fortissimo au pianissimo et vice-versa, ou de la lenteur à la vitesse, là où nous aurions dû aussi passer d'un état à un autre et « dans un soupir, sentir un roman », selon le mot de Schönberg sur Webern. Car la dimension dramatique n'est jamais absente de cette musique. Dans cette optique, on a apprécié la diffusion, avant chaque Sequenza, des distiques écrits sur chacune par Sanguinetti (et vraisemblablement lues par le poète).
Comme au concert, on a gardé le meilleur pour la fin : la Sequenza pour violon par Jeanne-Marie Conquer. Là, on n'était pas à court d'engagement ! C'est simple, il y avait tout : les références (Bach, Paganini, le violon tzigane, …), le sens de la structure, l'investissement expressif et, en plus, une capacité enviable par tout musicien d'éveiller le rêve chez l'auditeur. À la fin, tout le public lui criait comme Sanguinetti : « tu sei il mio vocativo ».
Crédit photographique : (c) DR.
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Paris. Amphithéâtre de la Cité de la Musique. 9.XI.2003. Luciano Berio, Sequenze II, VI, X, VII, IV, VIII. Solistes de l’Ensemble Intercontemporain : Frédérique Cambreling, harpe ; Christophe Desjardins, alto ; Jean-Jacques Gaudon, trompette ; Didier Pateau, hautbois ; Michael Wendeberg, piano ; Jeanne-Marie Conquer, violon.