Musique et amitié aux Fêtes Musicales de Corbigny
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Corbigny, Abbaye. 14.VIII.2003. Jean-Sébastien Bach (1685-1750), Concerto pour clavier et orchestre en fa mineur BWV 1056. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Concerto pour piano et orchestre n°23 en la majeur K 488. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) Symphonie de chambre, op.110a Transcription de Rudolf Barshaï (né en 1924). Eric Tanguy (né en 1968), Passacaille et Adagio pour orchestre à cordes. Ensemble orchestral « Les Pléiades », direction et piano : Frank Braley.
En treize ans, au cœur de la Nièvre, à quelques encablures de Vézelay et du village où Jules Renard écrivit son célèbre roman Poil de carotte, les Fêtes Musicales de Corbigny sont devenues le grand rendez-vous estival de la musique classique en nivernais.
Créées à l'initiative d'Anne Girard, violoncelliste à l'Orchestre Philharmonique de Radio France et Corbigeoise d'adoption, ces journées auxquelles participent depuis les débuts, avec bonheur et enthousiasme, les excellents solistes du Philharmonique, rencontrent un succès grandissant. Anne Girard, directrice artistique, et son mari, le talentueux réalisateur de télévision Yvon Gérault, animent une équipe de bénévoles enthousiastes et attachés au succès d'une manifestation à mille lieues des habituelles mondanités festivalières. Anne Girard affirme également sa volonté de donner aux solistes du Philharmonique de Radio France une place de choix dans ces journées de musique vivante.
C'est en 1987, qu'Anne Girard décide de créer l'Ensemble orchestral « Les Pléiades » composé des principaux solistes du Philharmonique et de fidèles amis. Le résultat donne aujourd'hui un orchestre généreux dont la cohésion est remarquable et que l'on souhaiterait voir et entendre davantage car il témoigne aussi de la force et de la beauté de l'amitié. Par la qualité d'une programmation ambitieuse, le talent et la passion des interprètes invités comme les frères Capuçon, François-René Duchâble, Marielle Nordmann, Patrice Fontanarosa, Bernard Soustrot, Elizabeth Vidal, Didier Lockwood, Nicholas Angelich et bien d'autres, Anne Girard a gagné son pari de décentraliser la grande musique vers une petite ville de province. Le public, captivé par cette communicative générosité orchestrale, est sous le charme.
Cette année, les interprètes venaient de planètes musicales différentes et Bach, Mozart, Debussy et Prokofiev ont pu croiser Eric Tanguy et Astor Piazzolla, que l'accordéon de Richard Galliano aura fait sans nul doute vibrer le 16 août. Le 8 août, le festival accueillait le pianiste Jean-Marc Luisada et le violoniste Svetlin Roussev pour des œuvres de Mozart, Franck, Debussy et Prokofiev. Le 10 août, le Quatuor Talich proposait Mendelssohn, Dvorak et Janacek. Le 12 août, la mezzo-soprano Lynn Dawson accompagnée par le London Baroque (violon, alto, violoncelle, clavecin) offrait des œuvres de Jenkins, Purcell, Lawes, Boyce et Locke.
Et ce 14 août 2003, Anne Girard a concocté un programme Bach, Mozart, Chostakovitch et Eric Tanguy, magnifique, solide, intense, prenant. C'était aussi la première fois que l'excellent pianiste Frank Braley dirigeait. Braley a longtemps hésité entre études scientifiques et musicales. Mais la musique a gagné. Au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, il suit les cours de Pascal Devoyon, de Jacques Rouvier et du magnifique pianiste Christian Ivaldi. Quand il se présente au prestigieux Concours Reine Elisabeth de 1991, il est déjà armé de ses Premiers Prix de Piano et de Musique de Chambre. A vingt-deux ans, il repart du Reine Elisabeth avec le Premier Grand Prix et le Prix du Public et, du jour au lendemain, il se retrouve propulsé sur la scène internationale. La presse voit en lui un « grand » lauréat, aux qualités musicales et poétiques exceptionnelles. Lors de la sortie de son premier disque Schubert (Sonate D.959 et Klavierstücke D.946), on n'hésite pas à le comparer à Claudio Arrau, Alfred Brendel, Radu Lupu ou Andras Schiff… Rien que ça !
Le Concerto pour clavier et orchestre en fa mineur BWV 1056 est le cinquième concerto de Bach écrit pour instrument soliste et orchestre. Plein de suppositions existent, et notamment celles expliquant qu'il provient d'un concerto pour violon antérieur, voire d'un concerto pour hautbois. L'ornementation en pizzicati du Largo central est une merveille. L'ensemble orchestral Les Pléiades qui accueillait le grand Valentin Erben (violoncelle du Quatuor Alban Berg) en a donné une interprétation d'une grande et élégante clarté. Et Frank Braley, au piano, a su toucher un public en or, passionné et captivé à la fois par sa virtuosité, sa brillance pianistique mais aussi par sa direction vive et énergique. Avec Mozart et son Concerto pour piano et orchestre n° 23 en la majeur K 488 écrit en 1786, on entrait dans l'une des périodes les plus heureuses du compositeur. Frank Braley et l'ensemble Les Pléiades ont magnifiquement restitué la profusion mélodique du passage de la gaieté à la tristesse du premier mouvement, la mélancolie du deuxième mouvement avec sa lenteur délicate et majestueuse si proche du lamento. Le finale fut carrément virevoltant – peut-être même un peu trop. Frank Braley s'est laissé emporter par la fougue, l'énergie et la dynamique de sa direction. Sa maîtrise du clavier, son appropriation du texte de Mozart étaient en revanche un vrai bonheur.
Nouvelle émotion avec Chostakovitch pour une transcription par Rudolf Barshaï du Huitième Quatuor auquel ce proche du compositeur a donné le titre la Symphonie de chambre, op.110a. Le moment est magique. Le public ne s'y trompera pas. La direction sensible et profonde de Frank Braley restitue magnifiquement toute la douleur ressentie par le compositeur lors de sa visite de Dresde. La musique vient de loin, du plus profond de l'âme et de l'humain. C'est déchirant, bouleversant. L'émotion gagne l'orchestre et le public. Un grand moment de silence s'impose avant que n'éclatent les applaudissements.
Avec un catalogue qui compte aujourd'hui plus de soixante œuvres (solos, musiques de chambre, concertos, pièces symphoniques et un opéra en préparation), Eric Tanguy, né en 1968, est dans la lignée de musique française qui part de Claude Debussy, Maurice Ravel et Albert Roussel, jusqu'à Henri Dutilleux, qui l'invite au prestigieux Tanglewood Music Center (USA), et Pascal Dusapin. C'est avec Horatiu Radulescu qu'il étudie la composition avant d'intégrer Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris sous la férule d'Ivo Malec et de Gérard Grisey (Premier Prix de Composition en 1991 et troisième cycle en 1991-1992). Bardé de prix (Stipendienpreis de Darmstadt en 1988, prix Villa Médicis « hors les murs » en 1989, Kranischtein Musikpreis de Darmstadt…), il intègre l'Académie de France à Rome (1993-1994). Dès lors, son parcours est une longue suite de succès. Braley interprétait la Passacaille que Tanguy a écrite en 1989 pour le Concours international de piano XXe siècle d'Orléans et la Fondation Salabert. Le compositeur s'est approprié le principe de la passacaille qu'il rafraîchit pour lui donner une nouvelle virtuosité et nouvelle élégance : « la pièce ne se fonde pas sur la répétition obstinée d'un motif unique, explique-t-il. J'ai utilisé plusieurs motifs qui s'entrecroisent et varient lors de chacune des réitérations à l'intérieur d'une partition qui relève de l'hybridation de la forme sonate et du principe de passacaille. » Frank Braley s'est approprié à son tour, avec bonheur, complicité, virtuosité et talent, cette magistrale pièce de piano et a su toucher, par la clarté de son jeu et son phrasé, un public littéralement subjugué. Avant les premières mesures de l'Adagio pour orchestre à cordes écrit en 2002, Eric Tanguy a expliqué au public, avec simplicité et générosité, qu'il souhaitait depuis longtemps écrire une pièce dans la tradition de l'Adagio. D'abord lente, méditative, il a souhaité progressivement des mouvements plus tumultueux. Et il s'est laissé emporter… « C'est un adagio qui se transforme », convient-il. Avec l'ensemble Les Pléiades, Frank Braley touche une nouvelle fois le public. Les violoncelles sont superbes et la fin de la pièce, qui relève de la mélodie et de l'harmonie, est éblouissante de virtuosité et d'élégance.
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Corbigny, Abbaye. 14.VIII.2003. Jean-Sébastien Bach (1685-1750), Concerto pour clavier et orchestre en fa mineur BWV 1056. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Concerto pour piano et orchestre n°23 en la majeur K 488. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) Symphonie de chambre, op.110a Transcription de Rudolf Barshaï (né en 1924). Eric Tanguy (né en 1968), Passacaille et Adagio pour orchestre à cordes. Ensemble orchestral « Les Pléiades », direction et piano : Frank Braley.