Grèves des intermittents du spectacle
Voilà beau temps que la culture n’avait pas fait à ce point la une des médias, tout genre confondu, et que l’on n’avait pas autant parlé théâtre et, surtout, musique classique ! Certes, ce n’est pas pour l’art lui-même qu’il en est ainsi aujourd’hui, mais pour les menaces qui pèsent sur sa libre expression du spectacle vivant qui, l’été venu, fait florès en tous les coins de l’Hexagone. Jean-Jacques Aillagon, actuel ministre de la Culture de qui l’on attendait beaucoup pour être du sérail, n’a pris au terme d’un an en poste aucune mesure d’envergure, et chacune s’est révélée soit feu de paille, soit effet de manche, soit encore source d’inquiétude. Il n’est que de rappeler le désengagement de l’archéologie préventive, qui, d’une part, risque de priver le patrimoine de trésors inestimable, et, d’autre part, met tout un corps de métier en péril. Et que dire de la démission de la promesse électorale de construction de la grande salle de concert que Paris attend depuis si longtemps ?…
Pourtant, la culture n’est pas du domaine interdit de l’appareil politique de droite. André Malraux, Jacques Duhamel et Michel Guy en attestent. Elle n’est pas davantage l’apanage de la gauche qui peut se montrer totalement démunie en la matière. Ce qu’ont démontré Catherine Trautmann et Michèle Cota, en qui d’aucuns croyaient pourtant. Il est vrai qu’elle est surtout le fait du prince, et si ce dernier s’en désintéresse, le ministre en place peut avoir la meilleure volonté du monde, il n’en pourra jamais. Ainsi, tout en se réclamant pourtant de Georges Pompidou qui a beaucoup fait pour les arts contemporains, le Président Jacques Chirac n’a d’yeux que pour les arts premiers et d’oreilles que pour la chanson populaire, l’hymne national et, seule concession à la mémoire de Pompidou, Le Marteau sans maître de Pierre Boulez…
Tant et si bien que les directeurs de festivals et d’institutions de spectacles vivant ont toutes les raisons de faire appel à l’arbitrage du Président de la République à qui ils demandent de peser de tout son poids pour que le Medef se décide à reprendre les négociations avec les syndicats les plus représentatifs des intermittents du spectacle, la signature du 27 juin n’engageant que les centrales minoritaires. Au risque, si le blocage perdure, de voir grands et petits festivals qui, l’été venu, essaiment la France, tous genres confondus (théâtre, musique classique, jazz, variété, rock, etc.), menacés de paralysie et voués à terme à disparition. Aujourd’hui, un certain nombre de ces directeurs se sont rendu rue de Valois prier le ministre d’intervenir dans la reprise des négociations entre syndicats et patronat, soumettant même au ministre des propositions pour améliorer la réforme du régime spécifique aux intermittents, cherchant ainsi de façon dynamique à résoudre un conflit qui s’éternise et les menace jusque dans leur pérennité même.
Tout comme les intermittents eux-mêmes pour qui, comme le dit célèbre metteur en scène Patrice Chéreau lors d’une AG à Avignon, « faire grève, est se tirer une balle dans le pied ». Car, pour nombre d’entre eux, surtout ceux du spectacle vivant, l’été est la saison qui, telle la fourmi, leur permet d’engranger le maximum d’heures pour pouvoir passer l’hiver au chaud. Ces menaces de grèves et les manifestations qui montent chaque jour en puissance, pesant désormais jusque sur les réunions sportives, Tour de France et Grand Prix de France de formule 1, mettent de l’eau au moulin des festivals qui, sous prétexte de faibles moyens et de carences dans les financements en provenance des institutions publiques, font appel au seul bénévolat, alors même que tant de professionnels n’ont pas de travail. En outre, les festivals qui n’accueillent que des solistes seront sans doute peu perturbés, les virtuoses, plutôt individualistes, n’ayant pas pour habitude de faire corps avec leurs semblables.
Il n’en reste pas moins vrai que si l’on est arrivé à pareille situation conflictuelle, cela est dû à un inextricable hiatus, un déficit considérable des Assedic des intermittents, et des abus de part et d’autre qui ont conduit le Medef à faire tout son possible pour réduire le gouffre financier qui ne cesse de se creuser depuis dix ans : 828 millions d’euros en 2002, que le doublement des cotisations patronales et salariales, appliqué depuis octobre dernier devrait ramener à 622 millions d’euros. Alors que beaucoup considèrent les intermittents du spectacle comme des privilégiés, certains abusant il est vrai par des pratiques douteuses. Par exemple, en pratiquant des échanges d’heures pour combler celles qui leur manquent avec ceux qui en ont trop, d’autres se retrouvant à la tête d’indemnités hors normes, alors qu’ils enchaînent, voire enchâssent les contrats. Que penser de ce fait de cette forme d’action de la part d’intermittents dont les protestations ne sont pas toujours justifiées. D’autant que l’accord signé le 27 juin n’empêche en rien les fraudes, particulièrement dans l’audiovisuel, télévision et sociétés de production, qui déclarent des périodes tronquées et laissent les Assedic compléter les revenus des intermittents. L’Unedic, de son côté, espère que, obligeant les employeurs à déclarer les intermittents de façon nominative et en croisant les données avec le fichier de protection sociale, après une adaptation de la législation, un modèle plus vertueux finira par s’imposer. Mais au-delà des intermittents, c’est la culture entière qui est visée par un patronat qui la juge d’autant plus inutile qu’elle propose un modèle social qui n’a plus rien à voir avec le modèle que le patronat cherche à imposer à tous.
Signé par les CFDT, CFTC et CGC, trois syndicats minoritaires dans le monde du spectacle principalement acquis à la CGT, l’accord concerne selon l’Unedic, 135.000 salariés intermittents, artistes et techniciens du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma cotisant à l’assurance-chômage, 102.600 ayant perçu au moins une allocation en 2002. Avec une durée moyenne de 212 jours d’indemnisation, ce régime permet aux intermittents d’être mieux traités que les autres chômeurs en percevant 122,55 euros de salaire journalier contre 45 euros à l’ensemble des allocataires. Mais, pour toucher des droits, les intermittents doivent avoir travaillé 507 heures dans le seul spectacle, en intégrant, élément nouveau, l’enseignement et toute activité ayant un rapport direct avec leur profession, et non plus, comme aujourd’hui, un minimum de 338 heures dans le spectacle et 169 heures dans le régime général. L’ouverture des droits ne se fait plus à partir d’une date anniversaire à laquelle étaient re-calculés chaque année les droits des intermittents, mais désormais ouverts pour 243 journées d’indemnisation, à l’issue desquels la situation sera réexaminée et seront comptées les heures effectuées au cours des 10 mois précédents (pour les techniciens) ou des 10 mois et demi (pour les artistes). Les « huit » mois pourront donc en fait s’étirer sur neuf, dix, quinze mois, voire davantage selon les contrats effectués.
Pour toutes ces raison, bonnes et moins bonnes, les festivals sont en danger, voire proches du naufrage, surtout les plus fameux et emblématiques d’entre eux, tels Avignon, Aix-en-Provence, Montpellier, qui attirent le plus de spectateurs et sont relayés par les grands médias – seules parmi les plus célèbres, les Chorégies d’Orange semblent être à l’abri, les intermittents hésitant à donner des atouts à la mairie Front national qui vise à récupérer le festival. Les intermittents ont conscience qu’il est important de préserver le festival. Et les retransmissions radio et télévisées peuvent servir de tribune… La chambre d’écho médiatique est en effet un argument de poids à l’égard des pouvoirs publics pour qui, semble-t-il, la culture n’a plus guère de signification, puisqu’elle n’obéit à aucun modèle économique rentable et amortissable, le temps des saltimbanques semblant irrémédiablement révolu. D’ores et certaines manifestations sont tombées, Montpellier Danse, Rennes, Marseille, Pau, d’autres sont fort perturbés, et beaucoup sont victimes de blocages et de manifestations des intermittents les plus intransigeants. Des régions entières risquent gros, tant du point de vue culturel qu’économique. Les Francopholies de La Rochelle sont menacées, et même les festivals d’août commencent à s’inquiéter, tel La Chaise-Dieu. Car les menaces que font peser les intermittents du spectacle sur les grandes manifestations estivales sont bien réelles et empêchent de prévoir définitivement les programmations. Non pas forcément par des grèves du zèle, mais surtout pas des blocages d’accès aux salles de spectacle et de représentations. Mais l’on verra mardi 8 juillet, à l’heure de l’ouverture du Festival d’Avignon, ce qu’il va en advenir du mouvement des intermittents et de son incidence sur les rendez-vous culturels de l’été, la CGT appelant ses adhérents à manifester de la République à Matignon… Mais ne faut-il pas craindre qu’un blocage des festivals ne joue en la défaveur des intermittents du spectacle, pour cause de retombées économiques, et de lassitude de l’opinion publique.