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Un grand Paavo dans la mare du Romantisme

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Paris. Théâtre des Champs-Elysées. 12-VI-2003. Arvo Pärt : Cantus. Gustav Mahler : Sechs Knaben Wunderhorn Lieder (Six Lieder extraits du recueil « Le Cor merveilleux de l’enfant »). Anton Bruckner : Symphonie n°4 en mi bémol majeur « Romantique » (A 95), version originale de 1880. Matthias Goerne, baryton. Orchestre National de France. Direction : Paavo Järvi.

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Un grand Paavo dans la mare du RomantismeOubliés la chaleur lourde d'un été en pleine maturation ainsi que les tracas d'une société socialement éprouvée, c'est une soirée placée sous le signe du recueillement que le théâtre des Champs-Elysées nous offrait le jeudi 12 juin dernier. Presque une célébration tant le programme était imposant et rempli d'espoir, tant les serviteurs de ce dernier faisait rayonner la reconnaissance de leur talent sur l'imaginaire d'un public d'emblée conquis et enthousiaste.

fait partie de ces chefs d'orchestre mythiques. Une personnalité affirmée alliée à une connaissance étendue du répertoire et qu'il a façonnée au sein des plus grandes institutions. Aux Etats-Unis, notamment, où il s'installe en 1980 et où il est formé au Curtis Institute of Music ainsi qu'au Los Angeles Philhamonic Institute auprès de Leonard Bernstein. Sa nationalité Estonienne le fait s'intéresser de près aux compositeurs de son pays qu'il revisite régulièrement pour travailler avec l'Orchestre Symphonique National d'Estonie. Invité dans toute l'Europe il impose sa maîtrise aux plus grandes formations orchestrales sans oublier pour autant de s'intéresser en priorité à l'enseignement des jeunes orchestres.

Sur ces considérations il était tout naturel d'entendre en ouverture de programme une œuvre d'un compositeur Estonien, (1935), dont la musique est conçue pour toucher directement l'auditeur en allant « droit à l'âme ». Cantus, composé en 1977 et créé à Londres en 1979 est une composition pour orchestre de durée très courte (8' environ). Cette œuvre fut écrite en hommage à Britten dont la mort survenue en 1976 affecta terriblement . Ce début de programme en forme d'hommage était aussi l'occasion de se rappeler la mort récente de Manuel Rosenthal, chef d'orchestre, compositeur et pédagogue, décédé à l'âge de 98 ans le 5 juin dernier. C'est à Luc Héry, premier violon soliste de l'Orchestre Nationale de France, que revenait l'honneur de placer la soirée entière dans cet ultime hommage au chef français. Le tintement de cloche qui entame le Cantus et qui le rythme d'un bout à l'autre pour renforcer son aspect processionnaire se fait alors entendre dans un silence presque « glacé ». Puis les sonorités tintinnabulantes des cordes rythmant la marche. Enfin les accords dont les transitions si peu perceptibles tant leurs tenues exceptionnellement longues appellent au recueillement et inspirent la lente descente au tombeau forçaient en nous ce sentiment d'humilité face à la mort. La partition se termine par un ultime son de cloche presque libérateur.

L'entrée de , qu'il n'est plus nécessaire de présenter tant sa renommée est faite et méritée, provoque un réel enthousiasme. Le baryton allemand présentait six Lieder extraits du recueil Des Knaben Wunderhorn « Le Cor merveilleux de l'enfant » composés par (1860-1911) entre 1888 pour les dix premiers et 1901 pour Der Tambourg'sell. Ces Lieder écrits sur des textes issus de la poésie populaire allemande sont l'évocation des enfances pénibles marquées par la mort, la faim, le froid et la guerre. Cette enfance que le compositeur autrichien a vécue de la même façon au sein d'une famille où le drame existait pleinement et quotidiennement tant il lui fallait se réfugier dans un imaginaire où la soif d'aimer et de vivre s'associait irrémédiablement au tragique et à la mort. Lui inspirant ses plus belles compositions, le contraste de ces deux mondes qui se libère dans un humour souvent proche du grotesque est encore présent dans l'orchestration et la juxtaposition de ces Lieder. Il fallait un Goerne puissant et fortement inspiré pour entamer cette série de six Lieder par le Wo die schönen Trompete blasen ? Où sonnent les belles trompettes ? Question posée au soldat solitaire qui ne trouve le repos que dans la mort. Servi par une diction irréprochable et un sens de la mise en situation époustouflants, le baryton va chercher les graves très loin et renforce la dramaturgie de l'œuvre en imprimant un rythme lent et solennel. Un sifflement certainement dû à la présence de quelque microphone mal réglé a perturbé cette prestation. Le concert était en effet retransmis en direct sur les ondes de France Musiques. Cette perturbation était d'autant plus mal venue qu'elle provoquait une gêne pour tout le monde et a vraiment gâché cet entame de récital. Elle ne s'est, cependant, plus fait entendre par la suite. Moment de pur extase que l'interprétation en quatrième position du célèbre Urlicht (Lumière originelle), que l'on a plus l'habitude d'entendre dans le registre soprano et faisant partie intégrante de la symphonie n°2, Resurrection, du même . Goerne a fait rayonner l'amour et la douceur de ce Lied au texte très naïf mais si poignant et si bien servi par une orchestration très inspirée. Les cuivres ont parfois couvert la voix du baryton mais l'émotion a naturellement triomphé. Le récital s'est clos sur les roulements du « petit tambour », Der Tamboursg'sell. Marche à la mort, lente, qui fait écho à la question posée par le premier Lied interprété. Le baryton amène le soldat à la potence et le laisse à son destin en prononçant les adieux, Von euch ich Urlaub nimm ! Gute Nacht ! Gute Nacht ! , Je prends congé de vous ! Bonne Nuit ! Bonne Nuit ! Le salut du public a été triomphal et les bravos accumulés pendant de longues minutes. dont l'embonpoint renforce une stature de plus en plus imposante est un maître incontesté dans l'art du Lied. Il se produit aussi à l'opéra et sera au Festival de Salzbourg 2003 pour interpréter le rôle principal d'un nouvel opéra de Hans-Werner Henze : Upupa.

Que dire sinon saluer encore la présence de , chef d'orchestre rigoureux et puissant. Une main ferme tenant une baguette presque invisible tant les gestes qui la rendent mobile sont simples, précis, efficaces. Seule un bras s'écarte de temps en temps du corps, droit et immobile, pour ralentir ou tempérer l'ardeur des premiers violons. Formidable démonstration dans l'interprétation de la symphonie n°4 en mi bémol majeur dite « Romantique » d'Anton Bruckner. Ici donnée dans sa version remaniée par Bruckner en 1880 et d'une durée de 75 minutes, cette œuvre est une symphonie à programme mettant les cors à l'honneur dans une grande fresque légendaire baignée de l'amour du compositeur pour la forêt allemande mais aussi d'un questionnement sur le passé, la mort et l'infini. Elle est une ouverture idéale sur le monde de Bruckner auquel on a longtemps reproché son incapacité à simplifier, ses redites, sa façon brutale d'utiliser les cuivres. Composition naïve, difficile à classer dans un répertoire allant du romantisme tardif à une certaine forme de la musique contemporaine, cette symphonie est aussi considérée comme étant la plus « abordable » du compositeur autrichien. Dès l'entame du premier mouvement, Animé mais pas trop rapide, le chef estonien pose le décor, flatte la noblesse du thème en révélant des cors puissants et majestueux. L'acoustique du Théâtre des Champs-Élysées est alors un atout indéniable car malgré un son un peu sec jamais on atteint la saturation et la dynamique peut s'exprimer pleinement. Le frémissement mystique des cordes laisse place au dialogue entre cuivres et bois. Petit à petit s'ouvre un monde de légende où le relief nous place au bord d'un précipice, l'infini nous appelle. a le geste sûre, l'orchestre est impeccablement mené. Les mouvements s'enchaînent et l'auditeur captivé ne peut que contempler l'extraordinaire interprétation qui se joue et que la réputation de Bruckner n'est plus celle qui lui a été faite. Les pizzicati du deuxième mouvement, Andante quasi Allegretto, amènent irrésistiblement à l'appel final de la forêt exprimé par les cors. L'investissement de chaque musicien est total dans ce mouvement où le jeu fatigue, où la température, lourde, devient un handicap. Le tableau de chasse du Scherzo est une démonstration étincelante d'exposition réussie d'un thème quasi « pictural ». Tout y est, le galop des chevaux, les appels des cors de chasse, la poursuite dans la forêt baignée de lumière. Puis il est déjà l'« heure » d'entendre le Finale, Animé mais sans précipitation. L'orchestre révèle des trésors d'harmonie par des passages aux cordes absolument fantastiques. Le thème du premier mouvement, dont la réexposition intervient alors, paraît transfiguré et l'œuvre se termine dans sa tonalité initiale.

Paavo Järvi a été aidé par un étincelant et pleinement investi dans son rôle. Les rappels incessants et les ovations bruyantes du public ont marqué l'événement comme il se devait.

crédits photopgraphiques : Sheila Roch

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