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Paris. Théâtre des Abbesses. 31.V.2003. Katia Guerreiro (chant), Paulo Parreira (guitare portugaise), Joao Mario Veiga (guitare), Armando Figueiredo (contrebasse).
Face au grand large atlantique, le Portugal chante le fado, musique de son destin – fado, du latin fatum, le destin. Chant de la nostalgie, de la tristesse, de l'amour et de la douleur, il est devenu grâce à Amalia Rodrigues, pour qui « c'était un état d'esprit » et qui en fut la plus grande interprète, l'emblème et l'âme musicale de ce pays. Elle a fait découvrir au monde entier le blues portugais. Le fado est au Portugal ce que le flamenco est à l'Espagne. D'origine maritime et issu des grandes découvertes du XVe siècle pour certains, reflet des provinces comme celles de l'Alentejo, de Trás-os-Montes ou des Beiras pour d'autres, il est aussi l'expression de l'urbanité des grandes villes comme celui très blues de Lisbonne ou celui plus lyrique de Coimbra. Chaque soir, dans les bars et les maisons de fado des vieux quartiers de l'Alfama au Barrio Alto en passant par la Mouraria, chanteurs et chanteuses, professionnels ou amateurs, accompagnés de la guitare portugaise à douze cordes commencent un rituel immuable, à la recherche de leur voix intérieure, cette même voix qu'ils vont mettre en harmonie avec le monde extérieur. Concentration, silence, tout invite au recueillement et à la nostalgie. Et l'âge aidant, la voix transfigure les vies, leurs cicatrices, exorcisant les douleurs, rappelant les chagrins disparus. L'essentiel est dans le style et la manière de chanter, bien plus importants que la beauté de la voix. Au fil du siècle qui vient de s'achever, le fado a manifesté une grande diversité due, entre autres, à l'excellent groupe Madredeus, qui a su allier modernité et tradition, à Paulo Bragança, qualifié de « punk du fado », et à Misia, qui a contribué à faire évoluer cette magnifique tradition orale.
Dernière arrivée dans le monde « fadiste », Katia Guerreiro a mis, deux soirs durant, le public du Théâtre des Abbesses à ses pieds. Docteur Guerreiro (elle est d'abord et toujours médecin au service des urgences d'un grand hôpital de la périphérie de Lisbonne) poursuit la grande tradition « amalienne ». Sa voix dense, chaude, ample, chargée d'émotion, passant du son le plus délicat à la plainte passionnée et douloureuse, est bouleversante. Il y a là d'incontestables réminiscences de la grande Amalia. Pas d'effet, pas de maniérisme ni de dramatisation excessive, mais une extraordinaire présence sur scène et surtout une grande pudeur pour cette chanteuse qui s'implique pleinement dans les histoires qu'elle chante. Katia Guerreiro a repris des thèmes anciens et traditionnels comme Algemas et Guitarra Triste d'Alvaro Duarte, Amor de mel, amor de fel de la reine Amalia, E noite na mourraria de José Rodrigues et A mariquinhas vai à fonte de Maria Cid. Mais la tradition n'est pas tout. Il y a aussi ce très bel Ave Maria du grand poète portugais Fernando Pessoa, des poèmes récents de Silvestre Fonseca, Sophia de Mello et Nuno Gomes.
Katia Guerreiro est accompagnée par un trio de musiciens exceptionnels, dans la pure tradition fadiste. Paulo Parreira fait chanter sa guitare portugaise à douze cordes avec une maestria et une virtuosité époustouflantes : un jeu limpide, lumineux, poétique qui vient de l'âme, comme la voix de cette magnifique et bouleversante chanteuse, digne héritière d'Amalia Rodrigues. Non moins virtuoses et brillants sont les accompagnements de Joao Mario Veiga à la guitare sèche et Armando Figuereido à la contrebasse. Le public, subjugué, leur a réservé un triomphe amplement mérité. Pour prolonger ce magnifique et intense concert, signalons que Katia Guerreiro et ses complices et amis viennent d'enregistrer Fado Major pour le label l'Empreinte digitale.
(c) crédit photographique : Simon CRS
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Paris. Théâtre des Abbesses. 31.V.2003. Katia Guerreiro (chant), Paulo Parreira (guitare portugaise), Joao Mario Veiga (guitare), Armando Figueiredo (contrebasse).