Modulation
A l’heure où le gouvernement s’apprête à faire des coupes sombres dans le train de vie de l’Etat, à la fois pour des raisons de politique intérieure et sous la pression de Bruxelles, la promesse du ministère de la Culture – généralement première victime des restrictions budgétaires – d’engager enfin les travaux de construction de la grande salle de concert promise à Paris depuis plus de vingt ans va de nouveau passer à la trappe. Cette fois de façon sans doute définitive. Il en avait déjà été ainsi pour la Salle modulable de l’Opéra de Paris Bastille dont l’inauguration était envisagée pour les festivités du bicentenaire de la Révolution française, mais que les édiles politiques ont préféré sacrifier au profit de la seule grande salle. Aujourd’hui, ladite salle modulable, dont l’espace vide a un temps été occupé par le fonds du musée Guimet alors en restauration, manque tragiquement aujourd’hui dans le paysage de la création lyrique contemporaine, tant ses caractéristiques techniques et son dispositif scénique s’annonçaient comme uniques au monde et susceptibles d’attirer les compositeurs des cinq continents.
Cité de la musique, la stratégie a été contraire. Cinq ans après l’achèvement du premier volet de l’ensemble, le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, a été inaugurée en 1995 la Salle de concert modulable puis la Salle d’orgue du Musée de la musique, qui auraient dû être rapidement rejoints par une grande salle de deux mille cinq cents places prévue dès 1984 dans le projet global initial conçu par l’architecte Christian de Portzamparc. La promesse est sur le point de passer inéluctablement aux oubliettes de l’histoire, et il n’est pas même envisagé, contrairement aux établissements pénitentiaires, de lancer un quelconque appel d’offres aux entreprises de travaux publics du secteur privé qui, il est vrai, risqueraient de ne pas se bousculer au portillon. Cela en dépit du fait que le ministère de la Culture travaille en ce moment d’arrache pied sur un projet de loi favorisant le mécénat, ce qui risque bien d’inciter l’Etat à se désengager davantage, au moment même où la décentralisation peut aussi le conduire à se décharger de ses obligations sur les Régions.
Ainsi, alors que les grandes villes d’Europe, de Londres à Rome et de Berlin à Madrid, et du monde, de Kyoto à Los Angeles et de Shanghai à Sydney, se sont dotées de parcs complets de diffusion de la musique, Paris reste désespérément privé d’un centre musical digne de sa renommée, les structures dont la capitale dispose s’avérant toutes incomplètes. Incapable de trouver les financements nécessaires et un accord avec la Ville de Paris, et, surtout, faute de réelle volonté politique – si l’Ircam est né, c’est par la volonté du Président de la République de l’époque, Georges Pompidou –, l’Etat préfère enterrer cet indispensable outil. Et l’on envisage à nouveau de faire du neuf avec du vieux, notamment en transformant le Théâtre de Chaillot en salle de concert. Mais l’acoustique y est si déplorable que les coûts des travaux d’adaptation pourraient s’avérer prohibitifs. Il est également question de l’acquisition par l’Etat de la Salle Pleyel, qui avait pourtant été vendue en 1998 à l’industriel Hubert Martigny lors de la débâcle de la banque publique Crédit lyonnais…
En outre, la musique contemporaine et les ensembles qui la diffusent voient peser sur eux telle une épée de Damoclès les conséquences des restrictions budgétaires annoncées pour 2004, restrictions assurément précédées dès cette année d’un « collectif budgétaire ». Après une lettre ouverte à Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture, émanant de L’Itinéraire, qui s’inquiétait de la remise en cause par la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) Ile-de-France de ses engagements, les ensembles s’attendent à une réduction de leurs subventions de vingt-quatre pour cent. Et ce ne sont pas, ici aussi, les institutions régionales qui combleront totalement les défaillances de l’Etat, la musique contemporaine n’étant pas un support de propagande électoral, et encore moins les entreprises, qui, à de rares exceptions près, ne voient pas en la création musicale un outil de communication digne de ce nom.
La musique à Paris et sa diffusion ont donc toutes les (mal)chances de rester en l’état laissé par le fait de deux princes épris de culture et d’art contemporains pour l’un, le président Georges Pompidou, et d’architecture pour l’autre, le président François Mitterrand. Il suffirait pourtant d’un petit coup de pousse, un ultime effort financier pour que l’attente du public, mélomane averti et profane inclus, et des musiciens soit comblée, et pour que les orchestres symphoniques et la création musicale « savante », de plus en plus vouée à la marginalisation alors même que son audience tend à s’élargir, quoiqu’en disent les frileux, disposent enfin de l’ensemble des structures indispensables à leur propagation.