Plus de détails
Alors que Carole Cerasi donne un récital pour clavecin solo dans le cadre du Festival d'Ambronay répondant à la belle thématique Amor, amore…, nous lui demandons de parler de son programme pour l'occasion mais aussi de ses instruments et de sa formation.
« Je joue du clavecin puis du pianoforte jusqu'à 1810, c'est-à-dire jusqu'au jeune Beethoven. »
ResMusica : Le thème de l'amour est-il riche pour le clavecin ?
Carole Cerasi : Non, c'est assez facile pour les chanteurs, il y a des milliers de cantates basées sur l'amour mais pour le clavecin, il faut trouver. Cela m'a poussé à faire une chose à laquelle je n'aurais pas pensé : j'ai construit quatre groupes de pièces pour ce concert « L'amour français et la passion espagnole » en choisissant beaucoup de petites pièces françaises de Lebègue, Rameau, Corrette. Ce programme raconte une petite histoire, le premier groupe commence par Les Cloches de Lebègue et termine par Dodo ou l'amour au Berceau de Couperin… puis j'ai placé des pièces espagnoles par contraste. Pour établir le programme, il a fallu déchiffrer beaucoup de pièces, pour trouver une juste longueur, le bon enchaînement, mais tout cela me plaît. Depuis que j'ai douze ans, j'affectionne particulièrement le répertoire français et j'adore le jouer en concert.
RM : Vous êtes spécialiste des claviers anciens, à quelle date limite faites-vous arrêter votre répertoire ?
CC : Je joue du clavecin puis du pianoforte jusqu'à 1810, c'est-à-dire jusqu'au jeune Beethoven. Mais c'est simplement une limitation d'ordre pratique. Le pianoforte que je possède est de cinq octaves, c'est une copie de Stein modèle XVIIIe. Quand il m'arrive de jouer sur des instruments plus grands, je joue du répertoire un peu plus tardif. Mais je ne pense pas un jour jouer du Mendelssohn, je suis maintenant spécialisée dans le XVIIIème et le tout début XIXème.
RM : Et le piano moderne, vous l'avez sans doute beaucoup travaillé ?
CC : Oui, j'aimais beaucoup d'ailleurs. J'ai eu des professeurs russes. A mon dernier examen, je crois bien que j'ai joué la Sixième sonate de Prokofiev, j'avais dix-neuf ans. Maintenant, c'est fini car je n'ai plus la musculature qu'il faut et plus d'entraînement. Je regrette d'ailleurs ce répertoire, mais on ne peut pas tout faire.
RM : Comment êtes-vous devenue claveciniste ?
CC : J'ai commencé le clavecin très jeune à Genève alors que j'avais onze ans et mon professeur de piano, qui était en fait une claveciniste, a suggéré à mes parents cet instrument. A quatorze ans, j'étais de retour en Suède et j'ai rencontré Kenneth Gilbert, qui faisait justement une master-class et qui m'a invité à venir étudier avec lui à Anvers chaque été. Il enseignait au Vleeshuis sur des clavecins antiques du musée. J'ai passé jusqu'à l'âge de dix-huit ans, dix jours d'été formidables, ça m'a marqué très fort. Depuis l'âge de quatorze ans, Kenneth Gilbert m'a envoyée à Londres chez Jill Severs, la plus grande professeur qui ne m'a jamais été donné de rencontrer. Chaque été, je prenais un mois de leçons très intensives puis j'allais au Vleeshuis et puis je me suis installée à Londres en 1982 et j'ai continué mes leçons. Aucun de ses élèves ne se ressemble, elle laisse chacun libre d'être une bonne version de lui-même.
RM : Puis ensuite vous avez rencontré Gustav Leonhardt…
CC : Je n'ai pas suivi vraiment un cours à Amsterdam avec lui, j'ai pris sept ou huit leçons privées en sept ans, à peu près une à deux fois l'an. Absolument formidable. Je crois bien que mon jeu est d'ailleurs une synthèse entre les cours que j'ai pris de Kenneth, son approche de la musique, sa façon de la penser et puis l'école hollandaise qui est une des meilleurs pour l'approche physique du clavier. Puis j'ai eu très tardivement, pendant un an, Ton Koopman comme professeur.
RM : Vous enseignez vos instruments à la Guildhall School of Music and Drama, à la Royal Academy of Music, à l'école Yehudi Menuhin. Quel répertoire enseignez-vous et à qui ?
CC : A Guildhall, je suis professeur de pianoforte, comme à la Royal Academy. Je fais travailler le répertoire entre 1740 et 1800. Sinon, à l'école Menuhin, je donne des cours de clavecin. A l'école Menuhin, ce sont encore des écoliers, avant l'âge du bac, qui sont en internat. Ils font piano moderne en même temps qu'ils font clavecin, pour leur donner une ouverture d'esprit. On a parfois l'impression de travailler avec de jeunes collègues tellement le niveau de musique est époustouflant. C'est vraiment un bon échange, très différent du travail à la Guildhall et l'Academy où les jeunes sont plus spécialisés.
RM : Vous avez créé un ensemble spécialisé dans l'interprétation de la musique de chambre classique, vous ne tournez pas en musique de chambre en France ?
CC : Pas encore. Avec l'ensemble Türk, qui n'a que trois ans, nous avons joué à la Tonhalle de Zurich cet hiver, nous avons réalisé des enregistrements pour la BBC, nous nous sommes produits au Wigmore Hall. Nos violonistes sont très occupés, alors nous essayons de concentrer notre travail. En octobre, nous avons à nouveau un concert prévu à Londres.
RM : Pourquoi ce nom « Ensemble Türk », pour rappeler vos origines ?
CC : C'est d'abord très difficile de trouver un nom qui ne soit pas d'une banalité effarante ou qui ne soit pas déjà employé ; puis Daniel Gottlob Türk est l'auteur de la grande bible des livres de théorie classique : le Klavierschule de 1789. C'est aussi effectivement un petit clin d'œil au fait que mes parents viennent de Turquie…
RM : Que recommanderiez-vous aux élèves de vos disciplines ?
CC : Justement ce parcours à travers l'Europe. Il faut faire beaucoup de stages, car je pense qu'aucun professeur ne peut tout apporter et qu'on trouve des choses intéressantes chez toutes sortes de personnes. Puis la rencontre avec les collègues est importante à l'occasion de concours ou de stages. Parmi les très bons clavecinistes actuels, j'en compte beaucoup comme de bons amis.
RM : Chez Metronome, vous avez enregistré des œuvres d'Elisabeth Jacquet de la Guerre, Carl Philip Emmanuel Bach, Thomas Tomkins, que prévoyez-vous ces prochains mois ?
CC : Des œuvres du jeune Bach et du XVIIe siècle allemand, puis des pièces de l'espagnol Manuel Blasco de Nebra, principalement sur un clavecin historique portugais situé dans le Kent. J'aimerais un jour jouer et graver les bagatelles de Beethoven, les trios de Haydn …
Crédits photographiques : © Sarah Turner