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Orphée et Eurydice par Marc Minkowski, la révolution Gluckiste met les ténors à rude épreuve …

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Poissy. Théâtre de Poissy. 12 JUIN 2002. Christoph Willibald Gluck (1717-1774) : Orphee et Eurydice. Tragédie-opéra en trois actes. Livret français de Pierre-Louis Moline d’après le livret italien de Raniero de Calzibigi Version de Paris – 1774. Orphée : Richard Croft. Eurydice : Mireille Delunsch. L’Amour : Marion Harousseau. Une ombre heureuse : Claire Delgado-Boge. Chœurs et Orchestre des Musiciens du Louvre. Direction : Marc Minkowski.

Rarement une œuvre lyrique aura subi autant de remaniements que cet opéra dont l'originalité et l'expressivité firent grand bruit et qui servit en quelque sorte d'emblème à la grande réforme de l'opéra entreprise par Gluck.

En fait, il en existe trois versions « légitimes » : celle de Vienne, créée en 1762 avec le castrat Gaetano Guadagni dans le rôle titre sur le livret en italien de Raniero de Calzibigi ; celle de Paris, créée en 1774, dédiée expressément à la Reine Marie-Antoinette, et écrite sur le livret français de Moline et pratiquement sur mesure pour le célèbre ténor Joseph Legros, qui possédait une agilité vocale hors du commun ; et enfin, celle de Berlioz de 1859, également en français, remaniée par le compositeur avec l'aide du jeune Saint-Saëns, et destinée à l'illustre Pauline Viardot qui en fit un de ses grands rôles.

L'œuvre connut par ailleurs des fortunes diverses, et fut souvent donnée sur scène dans une traduction en italien de la version Berlioz, avec également un contralto féminin dans le rôle d'Orphée.

L'esprit rationnel et matérialiste qui caractérisait le 19e siècle épris de réalisme et de vraisemblance, contrairement à celui de l'âge baroque qui mélangeait à plaisir les sexes et les identités, trouvait fort inconvenant qu'un rôle d'homme soit chanté par une femme. Ces réticences devaient subsister jusqu'au 20e siècle, puisque, jusque dans les années soixante, on alla jusqu'à confier à un …. baryton le rôle d'Orphée (Dietrich Fischer-Dieskau, Hermann Prey). Le résultat ne fut guère convaincant, puisque jugé trop réaliste et peu conforme à l'esprit de l'œuvre.

Et ce n'est qu'avec le renouveau de la musique baroque et la montée en puissance du goût pour les voix de haute-contre que l'on donna plus fréquemment la version de Vienne avec un homme chantant le rôle d'Orphée dans cette tessiture, sans doute pour tenter de s'approcher de manière plus authentique de la création originale.

En raison de la montée du diapason, le rôle du ténor de la version de Paris, très tendu dans l'aigu, était devenu pratiquement « inchantable ». Deux témoignages existent cependant au disque : Nicolaï Gedda avec Louis de Froment au pupitre (et Jeanine Micheau dans le rôle d'Eurydice) en 1955 et « la » version Rosbaud, considérée jusqu'à ce jour comme une référence absolue avec Léopold Simoneau en Orphée et l'immense Suzanne Danco en Eurydice. (1958). Cependant, bien que superbe, cette dernière version n'est pas complète, puisqu'il y manque le terrible air à vocalises « L'espoir renaît dans mon âme » devenu d'ailleurs dans la version Berlioz « Amour viens rendre à mon âme ».

L'initiative de de donner cette œuvre en version de concert était donc tout à fait heureuse, puisque, selon la tradition instaurée à Poissy, cette soirée allait aboutir à un enregistrement, fort bien venu après ….. quarante-quatre ans de sommeil, du moins au disque.

Il est vrai que, grâce à d'illustres interprètes, comme l'inoubliable Kathleen Ferrier, Marilyn Horne, Shirley Verrett, Grace Bumbry, Maureen Forrester et plus près de nous Anne-Sofie von Otter et Bernarda Fink, pour ne citer que celles-là, les mélomanes s'étaient finalement plûtôt habitués à entendre Orphée chanté par une femme, faisant quasiment leur deuil d'une version « masculine ».

Mais, pour le coup, pour justifier d'une telle « renaissance », il fallait trouver un interprète quasiment exceptionnel. Ce qui, ce soir-là, ne fut pas tout à fait le cas, le ténor américain , ne se montrant que bon là où on l'attendait génial.

Cet excellent chanteur, doté d'un timbre fort agréable et de grandes qualités : belle diction en français et en italien, maîtrise absolue de tous les styles et du baroque en particulier, parfait dans Haendel, Mozart et Monteverdi et par ailleurs excellent Pelléas à Glydnebourne il y a peu, n'est pas, à priori, réputé pour sa virtuosité dans le registre suraigu.

Il fut donc mis à assez rude épreuve, même au diapason baroque, par ce fer de lance de la révolution gluckiste qu'est « Orphée et Eurydice » où l'expression la plus raffinée doit s'allier à la virtuosité la plus consommée.

Tendu, préoccupé, voire angoissé, enfermé dans sa voix – et de surcroît enrhumé – ce qui ne lui facilitait pas la tâche, Croft privilégia la vaillance au détriment de la sensibilité, et donna du personnage d'Orphée une lecture très « virile », conquérante, où ne subsistait plus ni l'ambiguité, ni la sensibilité, ni le caractère androgyne qui en sont les composantes fondamentales.

De plus, il donna l'impression générale, assez désagréable quand on la perçoit de la salle, d'être constamment sur le fil du rasoir et de n'accomplir cette performance qu'au prix d'une vigilance de tous les instants, comme si le moindre abandon pouvait lui être fatal. Or, c'est l'abandon qui fait Orphée, enfant chéri des muses, l'abandon à la douleur et à l'amour.

Certes, compte tenu des circonstances, cet artiste par ailleurs tout à fait remarquable ne pouvait sans doute faire autrement. Cela est d'autant plus regrettable qu'il avait en face de lui l'admirable dont

L'Eurydice au chant constamment habité, vibrant, n'était pas sans faire penser à la noblesse et à la grandeur de style de Suzanne Danco.

Et que dire de la jeune , âgée de seize printemps, absolument étonnante dans le rôle de l'Amour, dont elle a la fraîcheur de timbre, la hardiesse et la malice ?

Qu'elle est tout bonnement formidable, et que c'est un coup de génie de la part de d'avoir choisi cette adolescente pour incarner l'Amour dans son éternelle jeunesse et dans toute son audace.

Malgré une ouverture au tempo extrêmement rapide, voire brutale, la direction de ce chef inspiré et galvanisé à la tête de son orchestre et des chœurs , est, comme toujours très contrastée, théâtrale, expressive, alternant avec bonheur les furies de l'Enfer avec les douceurs élégiaques des Champs Elysées.

On peut par ailleurs s'étonner que l'air d'entrée « Cet asile aimable et tranquille » généralement dévolu à Eurydice ou du moins à la chanteuse qui l'incarne, ait été donné à l'excellente Claire-Delgado Boge, par ailleurs membre du chœur, ce qui a pour inconvénient de réduire le rôle d'Eurydice, déja assez court. On eût, certes, quand même préféré l'entendre par la divine Delunsch, qui, par ailleurs, gratifia l'auditoire d'un « je meurs » d'anthologie.

Gageons que quelques séances d'enregistrement supplémentaires rendront peut-être à un peu de sa sérénité en lui permettant de donner à entendre un peu de l'abandon et de la quasi féminité nécessaires à l'incarnation du touchant Orphée.

Ces quelques réserves mises à part, la lecture de cette œuvre par fut, de toute façon passionnante. Il n'est que de l'entendre diriger, à la fin de l'opéra, ces ballets généralement tronqués ou sacrifiés pour en être totalement convaincu.

Illustration : Jean-Baptiste Corot – Orphée entraînant Eurydice

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Poissy. Théâtre de Poissy. 12 JUIN 2002. Christoph Willibald Gluck (1717-1774) : Orphee et Eurydice. Tragédie-opéra en trois actes. Livret français de Pierre-Louis Moline d’après le livret italien de Raniero de Calzibigi Version de Paris – 1774. Orphée : Richard Croft. Eurydice : Mireille Delunsch. L’Amour : Marion Harousseau. Une ombre heureuse : Claire Delgado-Boge. Chœurs et Orchestre des Musiciens du Louvre. Direction : Marc Minkowski.

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