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Betsy Jolas « D’un opéra de voyage »
Les entretiens de Bruno Serrou Editions CIG’ART/Jobert 2001
La série, tant attendue, des «entretiens de Bruno Serrou», éditée par les éditions CIG'ART/Jobert, a pour vocation de permettre aux compositeurs de se faire mieux connaître et d'imposer leur environnement musical de qualité.
Cette collection se fonde sur le principe qu'il leur est de plus en plus nécessaire de communiquer afin de valoriser leur personnalité, leur travail et leur talent. Bien entendu, et il est utile de le préciser, rien ne vaut
l'écoute de la musique afin de parvenir à une connaissance précise du créateur. Que penser alors d'un livre d'entretiens si ce n'est qu'il est toujours intéressant et parfois très utile de s'y plonger afin de se construire des repères fiables puisque c'est le créateur lui-même qui nous les offre et qui nous guide dans sa vie et dans son œuvre.
Ainsi, dans ce premier livre de la série, notre guide n'en est pas moins que Betsy Jolas qui nous témoigne de ce qu'a été pour elle la vie d'un compositeur du XXe siècle au parcours initiatique ponctué par voyages et rencontres. Ses parents américains, tout d'abord, une mère, directrice d'école, aux origines écossaises et un père, journaliste et poète, aux origines allemande et lorraine (Forbach) lui donnent naissance à Paris le 5 août 1926. Betsy Jolas nous invite à partager ses premières années dans cette famille où la culture tient une place prépondérante et où l'on parle communément trois langues, l'anglais, l'allemand et le français. Elle apprend le piano à partir de sept ans « cela se faisait naturellement dans les familles bourgeoises », et suit l'enseignement de Dalcroze selon une méthode d'éducation personnelle et avant-gardiste que Betsy Jolas nous décrit en détail. C'est aussi pendant ces années qu'elle nous confie prendre goût à la composition « je fabriquais des pipeaux en bambou que nous décorions. J'ai appris à faire des petits ensembles, j'écrivais de modestes pièces pour ces instruments. Tels ont été mes débuts en musique». Elle vénère son père, modeste joueur de violon mais irrésistible poète, «j'essaie de m'imprégner de la poésie qui est en lui … Il m'arrive, en son absence, d'entrer dans son bureau et de m'y tapir dans l'obscurité …». Toute l'enfance de Betsy Jolas nous est ainsi contée, d'anecdotes et de souvenirs d'une petite fille qui n'était pas forcément prédisposée à apprécier l'art contemporain «J'étais une petite fille très conservatrice».
Puis, en 1940, la guerre la sépare de la France, qu'elle regrette amèrement en arrivant aux Etats-Unis après un long et périlleux voyage qui lui fait traverser l'Espagne et le Portugal en emportant avec elle ses précieux pipeaux que les douaniers regardent d'un œil inquisiteur. Lors de la traversée, une vague la submerge sur le pont du navire, au large des Açores, mais la mer ne la prend pas, ne lui laissant pour tout souvenir qu'une peur panique qui lui inspirera plus tard Tales of the Summer sea « pour en découdre … ». Mais Betsy Jolas nous fait entrevoir que les Etats-Unis sont bel et bien le lieu de ses premières véritables implications musicales. Elle s'inscrit dans la chorale du lycée Français de New York à quatorze ans. Elle fait la connaissance de l'œuvre de Roland de Lassus qui l'éblouit à jamais «Je considère que c'est la musique qui me rend la plus heureuse». Puis, étape non moins importante, la découverte d'Arthur Honegger par Nicola de Flue qui lui fait une impression très forte. Cette chorale où elle passe six années, donne à Betsy Jolas l'envie et la volonté de consacrer sa vie à la musique. Entre temps elle va à son premier concert, en compagnie de son père, « et il m'a emmenée entendre Béla Bartók, a New-York, en 1943 ! ».
La vie de Betsy Jolas continue de se dérouler ainsi pour notre plus grand plaisir. Les questions de Bruno Serrou, précises et claires, ponctuent intelligemment ce récit et savent apporter au lecteur les précisions nécessaires, au bon moment. Une large part du livre est évidemment consacrée à la carrière du compositeur mais aussi à l'enseignement qu'elle dispense notamment dans la classe de Messiaen, à la demande de ce dernier. Nous avons aussi la chance de lire Betsy Jolas nous parler de ces œuvres les plus marquantes empreintes notamment de l'influence de Boulez et Messiaen, mais restant singulièrement personnelles. Elle s'exprime simplement et sans économie, reste pudique quant à sa vie privée mais ne manque pas d'exprimer ses regrets lorsqu'il est temps d'évoquer ses déboires avec les éditeurs «Un beau jour on vous dit non, on ne peut pas vous éditer, ce n'est pas possible, on ne peut plus». Le livre se termine par l'évocation de quelques projets d'un compositeur en « constante ébullition ».
Lorsqu'on referme le livre on a l'impression d'avoir passé un moment extraordinaire. Dans le prolongement de ce livre, on pourra assister au festival Les Manca de Nice qui s'ouvrira, en novembre prochain, sur un concert Betsy Jolas / Peter Eötvös. Ce concert sera précédé de la projection du film Une musique de rêve consacré à Betsy Jolas, documentaire de Jean-Baptiste Mathieu et Bruno Serrou réalisé par Jean-Baptiste Mathieu, coproduit par l'INA, la Sacem et le ministère de la Culture, et diffusé sur la chaîne Muzzik en décembre 1999 et en mai 2001.
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Betsy Jolas « D’un opéra de voyage »
Les entretiens de Bruno Serrou Editions CIG’ART/Jobert 2001