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Avec Mme Warner, Fidelio perd le Léonord

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Paris. Théâtre du Châtelet, le 27 Janvier 2002, 16 heures. Ludwig van Beethoven : Fidelio. Florestan : Kim Begley – Léonore : Anne Schwanewilms – Jaquino : Toby Spence – Marcelline : Lisa Milne – Rocco : Reinhard Hagen – Don Pizzare : Steven Page – Don Fernand : Matthias Hölle. Costumes : John Bright – Décors et éclairages : Jean Kalman – Mise en scène : Deborah Warner. Glyndebourne Opera Festival Chorus (chef : Tecwyn Evans) ; Orchestra of the Age of Enlightenment ; direction : Sir Simon Rattle.

Il en neige même ce soir-là sur Séville, capitale de l'Andalousie ! Un ministre providentiel, Don Fernand, tel un deus ex machina, vient de libérer un prisonnier d'opinion, Florestan, injustement détenu ; et de faire châtier le méchant Don Pizzare, son geôlier.

La courageuse Léonore y est, il est vrai, pour beaucoup. Epouse de Florestan, elle s'est travestie en homme et a bravé tous les dangers de la prison pour parvenir a ce dénouement. Vivront-ils heureux longtemps et auront-ils beaucoup d'enfants ? Cela vaut bien des jets de boules de neige entre prisonniers relâchés, non (et pourquoi pas une rave-party à Novosibirsk, ou une soirée « mousse » au Queen's) ?

Avec un ultime tableau aussi ras-des-pâquerettes, fait du pistolet de Léonore-Fidelio un pétard mouillé (et il y en a de l'eau, dans ce cul-de-basse-fosse ! un prisonnier s'évanouit même dedans : Mac-Mahon aurait aimé). Fidelio est tout entier tendu vers la scène finale, qui l'éclaire et le justifie ; il ne faut surtout pas dépeindre cette dernière au sens littéral, tant elle est métaphorique. Fort mal venue est, on l'admettra, cette espèce de bal du Quatorze Juillet sous un temps de chien andalou. Un raté ici, et c'est rater l'opéra entier.

Regrettable, vraiment. Les choses ont plutôt bien commencé. Transposition dans un univers carcéral-bureaucratique contemporain, gris et crasseux : ce n'est guère révolutionnaire, mais cela fonctionne. Surtout avec cette foultitude d'accessoires de la tyrannie ordinaire : bureau miteux, machine à écrire de même ; tiroirs bosselés pour fiches individuelles, paperasses, alcool, éclairage glauque… Les personnages du Singspiel – Jaquino, Marcelline, Rocco, et dans une moindre mesure Léonore – évoluent entre des grilles cellulaires numérotées, ce qui restitue bien cette impasse des sentiments, que Beethoven fait sienne dans la première partie. An der ferne Geliebte, au bien-aimé lointain, en quelque sorte…

Les costumes aussi sont triviaux, voire sordides – rien à redire : nous ne sommes pas à l'Alhambra, que diable. Pizarre et les prisonniers en récréation se meuvent dans ce même décor, sans que cela soit un inconvénient. Au deuxième acte, alors qu'on est dans le cachot de Florestan, éteint bien la lumière (« Gott ! Welch Dunkel hier ! ») mais élargit l'espace, limitant la claustralité à un unique barreau décentré. Inversion des volumes et ouvertures d'un acte à l'autre plutôt astucieuse, qui justifie la dramatisation des ensembles du I, et la persistance de musique à fleur de peau dans le II.

Mais c'est l'ouvrage de . L'Anglais connaît son Beethoven sur le bout des doigts (son intégrale des Concertos avec Brendel s'est largement fait remarquer). Ici, avec un Orchestre de l'Age des Lumières aux sonorités goûteuses, il s'attache à travailler essentiellement la transparence, la lisibilité, la clarté. Et y parvient haut la main. De même que les standards vocaux retenus regardent beaucoup plus vers un âge classique, qui se referme à peine, que vers un quelconque pré-wagnérisme ; la lecture orchestrale se réfère à juste titre à la peu antérieure Création de Haydn (autre réussite de Rattle).

Et même – c'est une grande nouveauté, et une magistrale leçon dans Fidelio -, les mânes de Gluck sont convoquées, avec des cuivres aux accents d'Alceste : leur partie n'est pas maigrelette dans cet opéra. A cet égard, le prélude instrumental de l'Acte II est une réussite totale, qui donne bien plus la chair de poule que le décor de coupe-gorge un peu forcé qui se dévoile peu à peu. Autre intérêt : une scansion nerveuse et précise, presque jamais bruyante, s'appliquant à densifier les nombreux ensembles du I, bien loin du simple marivaudage ; et à éthérer ceux du II.

Le plateau est le type même de la troupe homogène. Pas d'individualité marquante, hors l'époustouflant Pizarre de Steven Page (qui fut le Leporello du Don Giovanni – magistral, lui – de Mme Warner, dans le même Glyndebourne). souffre un peu, comme tous les Florestan au fond, de la redoutable entrée de son air, et s'ajuste après. Dommage que la régisseuse le fasse ramper et se contorsionner avec sa chaîne, tel un cabot rivé à sa niche ! est une Léonore plus Martinpelto que Mödl, et c'est très bien ainsi ; elle trouve ses limites avec les aigus un peu tendus d' « Abscheulicher !», fait merveille dans le second Acte ; et en outre, est très émouvante et crédible.

Le Rocco de , trivial à souhait puis gagnant en humanité, mais bon serviteur de son maître jusqu'au bout, est parfait. Il serait un excellent Daland wagnérien (sur intsruments originaux ?), davantage qu'un… Hagen. Très beau Jaquino () aussi, dans un rôle mineur il est vrai. Lisa Milne, Marcelline, un peu verte dans le duo initial, chante très correctement son air. Don Fernand – est plus benêt que nature : dommage, sa très courte intervention est du meilleur Beethoven. Les chœurs britanniques sont encore à féliciter, en particulier dans la marche des prisonniers vers la lumière : longue supplique, dont fait un suffocant chant de prières.

Cela dit, dès qu'annoncée l'arrivée du Ministre salvateur, les choses s'emballent ; et pas forcément pour le meilleur. Le chef empoigne ses troupes à la hussarde, accélère brutalement, malmène les choristes jusqu'à la distorsion, cogne plus que de raison – et termine sur les chapeaux de roue. Pendant quelques secondes, on est décontenancé ; puis, lorsqu'on voit ce que propose la scène, on comprend volontiers que Sir ait trouvé judicieux de trancher en faveur d'une liquidation sans trop de frais.

Crédit photographique : © Deanne Fitzmaurice

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Paris. Théâtre du Châtelet, le 27 Janvier 2002, 16 heures. Ludwig van Beethoven : Fidelio. Florestan : Kim Begley – Léonore : Anne Schwanewilms – Jaquino : Toby Spence – Marcelline : Lisa Milne – Rocco : Reinhard Hagen – Don Pizzare : Steven Page – Don Fernand : Matthias Hölle. Costumes : John Bright – Décors et éclairages : Jean Kalman – Mise en scène : Deborah Warner. Glyndebourne Opera Festival Chorus (chef : Tecwyn Evans) ; Orchestra of the Age of Enlightenment ; direction : Sir Simon Rattle.

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