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Nice : Festival International de Musiques d’Aujourd’hui – CIRM Manca 2001 – Les Nuits Etoilées.
Il y a seulement quelques jours, dans une proche galaxie, Nice a vécu une expérience interstellaire : l'Invasion des Mancas (que l'on se rassure, rien à voir avec l'Attaque des Clones, futur opus 2 de la Nouvelle Trilogie Star Wars !). François Paris, l'heureux maître d'œuvre du Festival pour la deuxième année consécutive, a bâti une thématique originale autour des étoiles, et tel un nouveau Wolfram ou Gulliver, ce pèlerin-poète a concocté un merveilleux voyage au centre de terres musicales peu explorées, comme notamment le courant spectral ! C'est dire la portée considérable de l'événement ; il fallait alors devenir un Marcheur du Ciel, et entreprendre Il Viaggio a Nizza.
Pour définir cet étrange OMNI (objet musical non identifié, pour beaucoup) – à savoir la musique spectrale – point nécessaire d'être un musicologue chevronné. Il suffit de préciser qu'il s'agit d'une discipline dont le matériau est dérivé des propriétés physiques du son, et qui en explore toutes les potentialités. Partant, on n'hésite pas à recourir à la technologie informatique de pointe pour l'amplifier, le métamorphoser ou le faire résonner (à ce sujet, lire le remarquable bouquin de Jean-Noël Van Der Weid chez Pluriel, la « bible » sur la musique vivante du XX° siècle).
Mais la meilleure solution consiste encore à s'immerger sans crainte dans cet univers particulier. La Force était avec nous !!! puisque Les Espaces acoustiques de Gérard Grisey, œuvre majeure, fondatrice, du mouvement spectral, ouvrait les hostilités. A cet égard, il serait plus approprié de parler de visualisation et de spatialisation du son, tant cette gigantesque et redoutable partition visionnaire capture l'imaginaire, comme un puissant narcotique hallucinogène ; et l'on ressort hagard, épuisé, comme après une folle nuit d'orgies clandestines.
En alchimiste diabolique des sons, Grisey a forgé dans son athanor un aérolithe, une subtile et envoûtante musique des sphères qui n'a rien de terrestre – un vaste polyptique multicolore, une symphonie-lumière en six séquences cosmiques. De la première (très sophistiqué prologue pour alto solo : Emmanuel Haratyk, époustouflant de virtuosité) à la dernière (quatre cors solos affrontant un grand orchestre), l'on monte, par de savantes gradations iridescentes, vers un au-delà ésotérique… Impalpables bruissements, frôlements séraphiques, doux froissement des pages de la partition elle-même, crescendos telluriques…
Une phrase de Jules Supervielle trouve ici matière à s'appliquer, dans sa tentative de définir la poésie : « Je me donne l'illusion de seconder l'obscur dans sa montée vers la lumière » ; ainsi qu'une des paroles de Thaïs : « L'esprit, dégagé de la Terre, plane dans cette immensité » – à la dimension kubrikienne. C'est pourquoi le lendemain, toujours pas « dégrisey », il n'est pas aisé de suivre ex abrupto le périlleux défi de Michèle Noiret : transcrire chorégraphiquement Zodiaque (Tierkreis) de Stockhausen. Or, cette magicienne dansante au fragile visage de Pierrot Solaire parvient à recréer, avec une grâce de funambule, les méandres de la mélodie. Chacun de ses gestes forme les figures complexes d'un ballet minimaliste sur l'entité sonore. Le son se construit, ébauche une ligne musicale, s'apprivoise, se dérobe, enveloppe, irradie et s'enfuit comme un feu follet.
Ensuite, Gérard Grisey : une autre facette de son génie protéiforme avec son orchestration translucide, aérienne, de quatre Lieder d'Hugo Wolf (1860-1903). La rencontre du post-romantique et du spectral eût pu encourir le risque d'être hasardeuse. Il n'en fut rien. Servies élégamment par le charme discret de Mireille Deguy, ces suaves miniatures bleu nuit semblent toutefois hantées par le fantôme de Richard Wagner et de ses Wesendonck Lieder. Enfin, la création Amok Koma de l'Italien Fausto Romitelli concluait le concert sur une note de parfaite plénitude. Symphonie de chambre électronique, fascinant novuor post-bartokien à la mouvance spectrale, cette musique évoque par intermittence l'envoûtant Concerto pour percussions de James Mc Millan.
Autre fête pour les sens : destination Jupiter de Philippe Manoury, le troisième jour ; et l'on se prend une nouvelle fois en flagrant délire de flottaison en apesanteur sur des nuages de rêves (comme après un opéra de Delius). Ceci en compagnie de la flûtiste Cécile Daroux à la chevelure de Mélisande, escortée d'une flotille de petits Mozart de l'informatique, sise au fond de la salle. En effet, toute notion temporelle est abolie ; étonnant concerto sidéral pour flûte et orchestre invisible, Jupiter et ses effluves féeriques entraîne l'auditoire dans une singulière aventure onirique à l'intérieur du son.
A côté, les œuvres proposées par de jeunes compositeurs, très cérébrales, n'ont pas le même impact émotionnel, et méritent un accueil plus poli qu'enthousiaste. Surtout lorsque la soirée se termine par Psappha de Xenakis, microconcerto pour percussions (avec un Daniel Ciampolini survolté) qui s'apparente à un rite païen ; une barbare messe noire sacrificielle d'une violence insoutenable. Au final, les Nuits Stellaires continueront pour longtemps à irradier nos jours enténébrés par la grisaille automnale ; mais la Paix des Etoiles est en nous. Rendez-vous est pris au 2 Novembre 2002, à Nice, pour un nouveau sabbat spectral.
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Nice : Festival International de Musiques d’Aujourd’hui – CIRM Manca 2001 – Les Nuits Etoilées.