Plus de détails
Paris. Théâtre du Châtelet, le 3 Mai 2001. Récital de la mezzo-soprano Grace Bumbry. « Hommage à Lotte Lehmann » . Schubert, Brahms, Liszt, Berlioz, Schumann, Strauss. Helmut Deutsch, piano.
Pour paraphraser un titre célèbre, la nostalgie n'est plus ce qu'elle était – du moins en ce qui concerne Grace Bumbry ! Là où beaucoup attendaient avec indulgence un récital soigné et paisible, sans surprise, précédant un départ inévitable vers une retraite très méritée, il se produisit ce que les amateurs de franglais nomment un « happening ».
Quoi ? Cette Eboli sans égale, cette Carmen d'anthologie (le film de Karajan!), cette Vénus sulfureuse et provocante (1962…), cette Salomé vénéneuse, cette Amnéris vengeresse mais racée, cette Norma qu'elle n'aborda qu'une fois mais qu'on dit avoir été grande, cette Abigaïlle (Garnier), cette Dalila, saurait encore, après quarante années de carrière, à la fois garder intacte sa voix pour le lied, et provoquer l'enchantement de la nouveauté ?
Il fallut se rendre à l'évidence: la réponse était oui. Après deux premiers Schubert timides, susurrés, dans lesquels la magicienne peina quelque peu à placer sa voix, elle convainquit d'emblée par un « Rastlose Liebe » toujours feutré, mais riche de couleurs et de chair. Les autres Schubert (« Du bist die Ruh' », « Die Männer sind méchant ») et les Brahms (dont la fameuse et difficile « Äolsharfe », le poignant et non moins complexe « Liebestreu », le bouleversant « Von ewiger Liebe » ) démontrèrent à l'envi que l'on peut avoir été l'élève de Lotte Lehmann – à la mémoire de qui cette soirée était consacrée – et continuer d'aborder, à soixante-quatre ans, le lied sous un angle autre que strictement viennois.
Ne reculant pas devant des effets toujours pertinents de volume (ce à quoi la prédispose son puissant organe, intact), très bien épaulée par Helmut Deutsch, l'Américaine nous livra des Brahms parfois véhéments, à fleur de peau, infiniment variés, aux antipodes de l'urbanité des salons. Mais c'est en seconde partie que Grace Bumbry termina de mettre la salle à genoux. D'entrée de jeu, elle donna une démonstration dans deux Liszt en français (qu'on ose si peu), « Oh quand je dors » et « Enfant, si j'étais Roi », parfaits de contours, de nuances, de diction, d'expressivité. S'ensuivit l'air de Marguerite du quatrième volet de la Damnation, dont on croyait tout connaître; on comprend bien qu'elle prouva que non, trouvant d'autres sortilèges encore.
Chauffée par un théâtre à moitié rempli mais d'une incroyable qualité d'écoute, et tournant à la ferveur, la mezzo-soprano abattit une carte maîtresse plus grande, s'il se peut: Schumann. Trois mélodies en tout et pour tout, mais au rang desquelles figuraient « Widmung » – tel un rêve éveillé -, un sensationnel « Nussbaum », et le plus inouï « Aufträge » qui soit – risquant et gagnant l'association du style franc et puissant décrit plus haut, avec la plus haute conception poétique de l'intimité qu'on puisse imaginer.
Nullement troublée par le délire d'acclamations qui séparait chaque groupe, Grace Bumbry se proposa de conclure par des Strauss de haute volée (« Ständchen », « Sehnsucht »), la phosphorescente « Cäcilie » terminant le programme. Pressée par un public conscient de ne pas réentendre un tel phénomène avant longtemps, Madame Bumbry, sans aucun doute fatiguée mais soucieuse de gâter ses admirateurs, consentit quatre bis plus beaux les uns que les autres: mélodies américaine et espagnoles, et un ébouriffant « Près des remparts de Séville » qui ne fut pas pour peu dans l'interminable ovation debout qui salua le passage à Paris, qu'on souhaite n'être pas l'ultime, de cette souveraine.
Plus de détails
Paris. Théâtre du Châtelet, le 3 Mai 2001. Récital de la mezzo-soprano Grace Bumbry. « Hommage à Lotte Lehmann » . Schubert, Brahms, Liszt, Berlioz, Schumann, Strauss. Helmut Deutsch, piano.