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Des dons musicaux précoces

Ulric Voyer est né à Québec le 5 janvier 1892. Il a indéniablement des dons musicaux qui se manifestent dès son jeune âge. On raconte cette anecdote amusante : Ulric n’a que cinq ans, ses sœurs sont sorties et son père est à l’étage. Ulric s’amuse au piano. En fait, il joue déjà assez bien le piano pour confondre son père qui en entrant au salon, est surpris de le trouver là alors qu’il croyait entendre une de ses filles. Avait-il l’oreille absolue? Études et formation musicales Ulric Voyer a étudié au Collège Saint-Roch, à Québec. Il a pris contact avec la musique d’abord chez Wallace, puis avec l’organiste de Saint-Roch et de Giffard, M. Lefrançois. En compagnie d’Edmond Trudel, il a étudié le piano avec le professeur Hudson. Il étudiera l’orgue et l’harmonie à Montréal avec Léon Dessane et avec M.Descarries. L’orchestration, il devra l’apprendre dans des livres qu’il fait venir directement d’Europe comme le Traité d’harmonie de Rimsky-Korsakoff, Technique de l’orchestration moderne de Widor ou le Traité pratique d’instrumentation et d’orchestration symphoniques de Ithier.

La passion de la scène

Dès sa jeunesse, Ulric Voyer est un amoureux du théâtre dont il manque peu de représentations à Québec, comme en fait mention son journal intime. La boisson : Dès 1907-1908, il rédige La boisson, une pièce en trois actes et douze scènes dont nous possédons le manuscrit. Cette œuvre sera représentée plusieurs fois à Québec et même interprétée à la radio de CHRC après sa mort. Triste réalité : Délaissant temporairement le théâtre pour se consacrer à l’étude et à l’enseignement de la musique, il ne rédigera une autre pièce qu’en 1923: Triste réalité, présentée en même temps que des extraits de l’Opéra Jean-Marie. Le synopsis pourrait laisser croire qu’il s’agit d’une adaptation de la pièce La boisson.

Premières compositions et publications musicales

Les premières compositions musicales, les premières œuvres de jeunesse, datent de la période 1911 à 1915. Ulric Voyer a entre 18 et 22 ans. Un manuscrit de cette période contient une Suite de valses composée par l’auteur et datée du 17 janvier1911. En 1912, il compose une bluette musicale : Petite amie.En 1913 est publié Prends garde à l’amour – Valse chantée qui sera suivie de la publication aux États-Unis de Si tu savais par John T. Hall Music en 1914.Datent aussi de cette période À Mlle Alice Bédard : Je te dirais « jet’aime », valse chantée publiée à Montréal sous l’humoristique pseudonyme de Jean Canada (paroles), aux Éditions Le Passe-temps ainsi que À Mlle A.B. : Si vous voulez m’aimer un peu, publié aussi à Montréal.

Premiers opéras : La Duchesse en sabots et Petit-mouton

C’est au début des années vingt que sont montés ses premiers opéras.La Duchesse en sabots, un opéra-comique en un acte mettant en scène 45figurants, est représenté à Québec au profit de l’église paroissiale de Saint-François d’Assise, lundi et mardi, les 8 et 9 novembre 1920. On ne peut déterminer l’apport de l’auteur à cette œuvre puisqu’elle est une adaptation de Les chaussons de la duchesse Anne, une opérette en un acte composée par Ch. Le Roy-Villars. La onzième édition du livret de cette œuvre aété publiée à Paris, en 1896, par André Lesot, libraire-éditeur. Petit-mouton, opéra-comique en quatre actes : un manuscrit d’une œuvre originale de 144 pages d’orchestration musicale rédigées de 1920 à 1923, et quelques partitions de violon et de chant sont conservées dans les archives. Très peu de choses sont actuellement connues de cette œuvre. L’année 1923 voit la représentation d’extraits de Jean-Marie, opéraen quatre actes. Deux représentations sont données à Québec les 10 et 11 avril 1923.Le programme de ces représentations et une quinzaine de partitions musicales particulières sont conservées aux archives. La presse locale, Le Soleil et l’Action catholique, nous apprend que cette œuvre « richement harmonisée », « d’une originalité et d’une vérité surprenante » fut fort bien accueillie. Le livret est l’œuvre d’une collaboration avec Alfred Rousseau et les représentations étaient sous la direction de F.-X. Mercier. Sont conservées dans les archives des partitions pour ténors, barytons, basses et soprano ainsi que pour piano conducteur, contrebasse, violon, clarinette, cors en Fa et hautbois. L’œuvre la plus connue de J.U. Voyer, L’Intendant Bigot, a été représentée cinq fois : deux fois à Montréal, les 5 et 7 février 1929 au Monument National, sous la direction d’Albert Roberval, et trois fois à Québec, les 22 et 23mars 1929 à l’Auditorium de Québec, l’actuel Capitol, sous la direction d’Edmond Trudel et sous le patronage de l’Honorable L.-A. David. Initialement, l’œuvre ne devait être représentée qu’à Montréal. C’est en raison des succès remportés dans cette ville qu’une représentation est planifiée à Québec. Finalement, trois représentations seront organisées avec sensiblement les mêmes artistes très connus et appréciés à l’époque : ArnoldBecker dans le rôle titre, Louis Gravel, Paul Trottier, C. E. Brodeur, Marie-Rose Descarries et Caro Lamoureux. Les trois manuscrits reliés de l’orchestration ainsi qu’une réduction piano-voix sont conservés intégralement dans les archives familiales ainsi que plusieurs partitions de cet opéra dont le premier acte se situe sur les hauteurs de Beauport :contrebasse, violoncelle, violons, clarinette, basson, cornet, cors, hautbois, trombone, alto et flûte. Des exemplaires du livret composé en collaboration avec Alfred Rousseau, des exemplaires du programme des représentations à Montréal et du programme à Québec sont aussi conservés. Une cinquantaine d’articles de journaux, ont rapporté l’événement : Lapresse de Montréal, L’Événement et Le Soleil de Québecetc…Cet opéra fut considéré par la Société canadienne d’opérette qui l’a monté, comme le premier grand opéra canadien. Dans une lettre adressée à l’auteur et reproduite dans le programme des représentations, Honoré Vaillancourt, écrivant au nom de cette Société en tant que son directeur-général, considère qu’Ulric Voyer est « le premier canadien qui ait produit une œuvre lyrique mise à la scène sous la forme d’un opéra. » L’Encyclopédie de la musique canadienne,publiée chez Fides en 1993, en fait mention sans toutefois considérer L’IntendantBigot comme le premier opéra canadien.

Premier enregistrement d’extraits de L’Intendant Bigot

Il existe un enregistrement sonore sur 78 tours d’extraits de L’IntendantBigot : Romance du Marquis chantée par C. E. Brodeur et Dans un petit village chanté par Mme Jeanne Maubourg-Roberval. Plusieurs exemplaires de la musique en feuille de cet extrait ainsi que plusieurs partitions sont conservées dans les archives, dont la partition du chef d’orchestre écrite pour soprano, flûte, hautbois, clarinettes en Si bémol, basson, cors en Fa, trompettes en Si bémol, trombone, et violon. Un second enregistrement sonore dont mille copies ont été rapidement vendues a été gravé sur 78tours par Marie-Rose Descarries. La revue La Lyre soulignait dans son édition de mai 1929 qu’il s’agit d’un« record de vente qui n’a jamais été atteint par une œuvre canadienne dans ce laps de temps. » Ce même extrait, Dans un petit village, a été publié à Montréal, ce qui a favorisé son interprétation le 30 octobre 1930 par Audrie Rubanni au Steinway Concert Hall de New-York. Ce récital où figurait des œuvres de Debussy, Fauré et Rupès a été annoncé dans le New York Times le 30 octobre 1929 et a bénéficié d’une critique élogieuse le lendemain dans le même journal. Un exemplaire du programme de ce récital est conservé dans les archives familiales. Un opéra inédit est conservé dans les archives familiales : Mademoiselle deLanaudière, opéra-comique en trois actes et quatre tableaux. Les deux manuscrits reliés de l’orchestration de 685 pages établie en collaboration avec G.E. Lefebvre, sont conservés intégralement dans les archives familiales ainsi quela réduction piano-voix, des épreuves d’imprimerie du livret et 36 partitions : ténors, barytons, basses et sopranos ainsi que clarinettes, cornet à pistons, violons, flûtes, bassons, trombones, contrebasses, violoncelle, cors, et hautbois. Cette œuvre dont le livret a été composé en collaboration avec Henri Deyglun, était à la veille d’être montée lorsque le compositeur mourut prématurément. En atteste une note manuscrite estimant le « revenu de chaque participant aux représentations de Mademoiselle de Lanaudière sous la direction de Mercier-Gingras ».Un projet d’entente avec M. Athanase Guy, signé à Québec le 20 octobre 1931,stipulait que le rôle-titre devait être tenu par Mme Marthe Lapointe, le rôle de Salaberry, par M. Antonio Lamontagne et que la direction artistique devait en être confiée à M. Jean Riddez. Une convention a par ailleurs été signée le 4 juin 1932 par M. G. E. Lefebvre qui reconnaît avoir fait l’orchestration et la vérification de l’ensemble de l’œuvre. Alors que L’Intendant Bigot évoquait l’abandon du Canada français par la mère patrie, cette œuvre inédite traduit l’impossible mariage entre deux Canada… En témoigne cette réplique de Madame de Lanaudière : « Nous voisinons, rendons visite, Anglais ni Français ne s’évitent, car de nos bonnes relations surgira puissante nation. » Mais Peltier, un personnage de la pièce revenant sur scène sitôt le rideau tombé, précisera : « Je suis revenu pour vous dire que l’auteur aurait pu vraiment, marier les cœurs qui soupirent et nous serions partis contents. Mais l’histoire n’a pas voulu que Marguerite de Lanaudière se maria… l’on a conclu qu’il était trop tard pour le faire. »

Les trente-six métiers de J. Ulric Voyer

Ulric Voyer a exercé tous les métiers pour assurer la sécurité matérielle d’une famille de dix-huit enfants : autodidacte, professeur de piano, greffier à la Cour municipale de Québec, premier organiste à l’Église Saint-François d’Assise, professeur de sténographie, dramaturge et gérant de publicité de la Compagnie J.B. Renaud. C’est en 1913 qu’il épouse Alice Bédard qui lui donnera dix-huit enfants en vingt-et-un ans de mariage. Trois de ses enfants mourront en bas âge. Progressivement, dès qu’ils sont assez âgés, les enfants s’initient à la musique : Madeleine apprend le chant, Gaston la clarinette et le hautbois, Françoise le piano, Gemma le violon. Et puis des amis musiciens viennent régulièrement jouer et discuter musique à la maison: Edmond Trudel, chef d’orchestre qui dirigera L’Intendant Bigot à Québec, F.-X. Mercier, chef d’orchestre qui a dirigé la représentation d’extraits de l’Opéra Jean-Marie, G.-E. Lefebvre, chef d’orchestre et directeur du Cercle Philharmonique Haydn qui révisera l’orchestration de l’OpéraMademoiselle de Lanaudière, Jean Riddez de l’Opéra de Paris, ses librettistes Henri Deyglun de la Société des auteurs dramatiques de Paris et l’animateur radiophonique Alfred Rousseau qui avait aussi écrit le livret de l’opérette Coupd’soleil d’Omer Létourneau, Honoré Vaillancourt de la Sociétécanadienne d’opérette.

Et combien d’autres chanteurs et musiciens de Québec?

Certains soirs au début des années 30, c’est un véritable concert sur la 13° rue à Québec et les Frères du Collège de Saint-François d’Assise sortent dans la cour pour écouter avec tout le voisinage. Ces soirs-là résonne davantage le magnifique piano qui faisait l’orgueil et la fierté d’Ulric, un piano qui avait appartenu au compositeur et chef d’orchestre Joseph Vézina.Il s’implique aussi dans le milieu radiophonique de Québec : il est co-fondateur du poste CHRC avec M. Narcisse Thivierge puis directeur musical dès 1931. Une fois par mois il monte en direct une opérette ou une œuvre classique d’une heure et procède aux choix musicaux, initiant les auditeurs de la station à la « grande musique ».Il était tant épris de musique, si habité par elle qu’il écrivait en 1913 avoir décidé d’y consacrer sa vie, ce qui n’était pas une mince affaire à cette époque, à Québec. Il devra cependant se contenter de ne consacrer que tous ses loisirs à la composition d’œuvres musicales d’envergure, car c’était là sa passion, malgré une santé fragile qui lui cause des étourdissements et troubles cardiaques dès sa jeunesse.

Mort tragique et prématurée

Le 8 janvier 1935 sonne le glas d’une aventure humaine tragique. Le compositeur n’a que 42 ans. Comme l’écrira un éditorialiste du quotidien Le Soleil sous le pseudonyme de L’oncle Gaspar, « la mort d’Ulric Voyer devait causer en ville un émoi facile à comprendre. Tous les Québécois, comme moi, écrit-il, étaient ses amis. Sur la rue, quelqu’un avait toujours à lui parler, soit d’affaires, soit de musique. Les affaires, il fallait bien qu’il s’en occupât puisque, depuis plus de vingt ans, il était l’un des meilleurs employés de la Maison J.-B. Renaud. Mais la musique, il l’aimait encore mieux, c’est certain, et son regret était de ne pas avoir pu lui consacrer toute sa vie. »

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