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Né à Ansfelden (Autriche) le 4 septembre 1824, décédé à vienne le 11 octobre 1896.
Il était le premier enfant d'Anton Bruckner (1791-1837) et de Theresia Helm (1801-1860), dont la famille tenait depuis des années un auberge réputée à Neureug, près de Steyr et non loin d'Ansfelden. Le grand-père et le père du compositeur étaient tous deux instituteurs. Personnages à multiples facettes, ce dernier était en outre cantor, sacristain, organiste et même parfois violoniste dans les fêtes et les bals du village.
Avec son épouse, Anton Bruckner fut très vite surpris des aptitudes musicales de son fils qui, à 4 ans, savait déjà reproduire à l'espinette paternelle les mélodies qu'il avait entendues à l'église. Le jeune enfant faisait preuve d'une telle précocité que, dès l'âge de 7 ans, il se mit à seconder son père dans l'éducation musicale des plus jeunes élèves de l'école. Ses progrès furent si rapides qu'à 10 ans il était déjà en mesure de remplacer son père à l'orgue paroissial.
Devant les dons musicaux aussi manifestes de leur fils, Anton et Theresia décidèrent de l'envoyer à Hörsching chez leur cousin Johann Baptist Weiss, représentant de la vieille tradition musicale de la Haute-Autriche et de la Bavière. Weiss devint le premier maître du petit Bruckner ; du printemps 1835 à la fin décembre 1836, il prit en charge sa formation de base, lui enseignant plus particulièrement la théorie musicale, l'harmonie et l'orgue. En outre, le jeune garçon s'initia très rapidement à l'art difficile de l'improvisation, et il écrivit même quatre petits Préludes pour orgue.
Malheureusement, en décembre 1836, le père d'Anton tomba malade et l'enfant fut contraint de le remplacer à la fois à la maison, à l'église et à l'école. Les journées étaient longues pour ce jeune musicien de 12 ans qui, parfois, devait encore animer avec son violon les bals champêtres du village.
Les années d'apprentissage
Après la mort de son père, survenue en 1837, Anton fut conduit par sa mère à l'abbaye de Saint-Florian, située à six kilomètres d'Ansfelden. Elle le présenta au prieur Michael Arneth en lui demandant de bien vouloir l'accepter comme élève à la manécanterie du monastère. Le jeune garçon allait passer trois ans dans ce havre de paix, trois années qui le marquèrent à tout jamais : plus tard au cours de sa vie d'adulte, Bruckner revint souvent visiter l'abbaye, pour y jouer de l'orgue et surtout y renouer avec la sérénité spirituelle.
A Saint-Florian, le jeune musicien reçut à la fois une solide instruction générale et une excellente éducation musicale qui consistait plus particulièrement dans l'étude du piano, de l'orgue, du violon et de la composition ; il eut ainsi, entre autres, pour professeurs le violoniste Franz Gruber, lui-même élève de Schuppanzigh, et le célèbre organiste bénédictin Anton Kattinger. Ce fut sans doute ce dernier qui communiqua à l'adolescent sa passion non seulement de l'orgue, mais également de la composition. Au cours de l'été 1838, Bruckner composa ainsi un court Prélude pour orgue et, à 15 ans, commença sa carrière d'organiste en accompagnant certaines célébrations liturgiques.
Pour devenir instituteur, Anton prépara ainsi le concours d'entrée à l'Ecole normale de Linz, ville qui comptait à cette époque près de 200 000 habitants. En octobre 1841, après un séjour de dix mois à Linz, il obtint un diplôme officiel qui lui permettait d'être adjoint à l'instituteur pour les classes des cours inférieurs. Il fut dès lors nommé auxiliaire à Windhaag, petit village peuplé d'environ quarante famille.
En janvier 1843, grâce à l'aide du prieur d'Arneth, Anton quitta Windhaag pour Kronstorf, petite localité proche de l'abbaye. Il reçut en outre la promesse d'obtenir un poste à Saint-Florian dès que l'occasion s'en présenterait. A Kronstorf, Bruckner se sentait « comme au ciel », ainsi qu'il le confessa dans sa vieillesse. Depuis sa nouvelle résidence, il se rendait régulièrement à Saint-Florian, où Hans Schläger lui enseignait l'écriture pour chœurs d'hommes. De même, il se rendait trois fois par semaine à Enns, afin d'y suivre les cours de Leopold von Zenetti. Ce musicien cultivé lui inculqua une connaissance plus poussée de la technique des instruments à clavier et l'initia plus avant à la science de la composition, en particulier par l'étude approfondie des œuvres d'orgue et du Clavier bien tempéré de Bach.
Anton allait également souvent à Steyr, afin d'y jouer sur l'orgue paroissial. Pour que ses protecteurs de Saint-Florian n'oublient point leur promesse de lui donner un poste de musicien à l'abbaye, il composa même une cantate dédiée au chancelier Friedrich Mayr. Il l'intitula de façon significative Vergissmeinnicht (Ne m'oubliez pas). En 1845, Bruckner réussit un nouvel examen qui lui donna le titre d'instituteur. L'abbé de Saint-Florian le nomma aussitôt premier assistant à l'école paroissiale de l'important centre bénédictin.
Dix ans à Saint-Florian
Bruckner allait exercer cette fonction de 1845 à 1855, dix années au cours desquelles son talent allait largement et profondément gagner en maturité. Sous l'autorité de Kattinger et de von Zenetti, il continuait à étudier le répertoire classique, en priorité le patrimoine autrichien ; toutefois il put entendre la musique de son époque grâce aux concerts des associations de Linz. Son long séjour à Saint-Florian fut marqué par la composition d'une cinquantaine d'œuvres destinées à l'église, dont deux seulement étaient consacrées à l'orgue ; les autres œuvres consistaient en pièces vocales pour chœur mixte et piano. En 1851, Bruckner remplaça finalement Kattinger comme organiste titulaire de l'abbaye de Saint-Florian.
A la même époque, il s'éprit de la fille aînée du maître de l'école Michael Bogner, au sein de la famille duquel il vivait depuis longtemps. Mais Louise Bogner, ne partageait pas son amour et se maria l'année suivante. Bruckner exprima sa profonde déception dans la cantate Entsagen (Renoncement). En 1855, il se présenta à un examen organisé à l'Ecole normale de Linz et obtint le diplôme d'instituteur de l'enseignement primaire. Pensant que, depuis la mort du prieur d'Arneth, en 1854, son avenir à Saint-Florian était désormais bouché, et stimulé par les conseils du compositeur et organiste Robert Führer, il se rendit à Vienne pour se présenter au célèbre professeur Simon Sechter. Ce remarquable contrapuntiste exerçait alors les charges d'organiste à la cour et de professeur au Conservatoire de Vienne. Sechter fut d'emblée si enthousiasmé par les travaux de Bruckner qu'il l'accepta immédiatement comme élève.
Organiste à Linz
En novembre 1855, Anton se présenta au concours pour succéder à Pranghofer au poste d'organiste de la cathédrale de Linz. Le jeune musicien emporta l'adhésion du jury grâce à une improvisation géniale. Une nouvelle étape de sa vie s'ouvrait désormais devant lui, ainsi qu'il l'avait tant rêvé.
Le répertoire de la cathédrale de Linz bénéficiait des avantages de la cœxistence des deux cultes catholique et luthérien. Le premier cultivait, outre la musique grégorienne et instrumentale, les pièces dramatiques du baroque. En outre, grâce à la proximité des régions luthériennes, le répertoire s'enrichissait de cantiques spirituels totalement assimilés par la cathédrale de Linz. Bruckner allait ainsi vivre à Linz de Noël 1855 jusqu'en 1868. Pendant les cinq premières années, il préféra se limiter à suivre les cours de Sechter, qui lui avait déconseillé de composer tant que dureraient ses études de la théorie traditionnelle ; il se contenta donc d'improviser sur l'orgue, de collaborer comme organiste dans les services religieux et de diriger la chorale Frohsinn. En 1860, toutefois, parallèlement à toutes ces activités, Bruckner aborda de nouveau la composition. Il écrivit quelques œuvres chorales ainsi que d'autres pièces relevant de l'enseignement théorique. En octobre 1861, il passa brillamment l'examen du Conservatoire de Vienne et obtint ainsi le titre de professeur de musique qui lui conférait le droit d'enseigner. S'étant lié d'amitié avec Otto Kitzler, qui était chef d'orchestre, il étudia sous sa conduite les partitions des compositeurs plus récents, de Beethoven à Wagner, sans oublier Mendelssohn et Meyerbeer. Mais ce rythme de travail intense finit par altérer sa santé et le contraignit à prendre du repos.
La découverte de sa vocation
En 1863, Bruckner entendit pour la première fois un opéra complet de Wagner : cette révélation fulgurante le marqua à tout jamais et il comprit à travers elle que sa véritable vocation était la composition. Les œuvres wagnériennes qui l'impressionnèrent le plus furent Tannhäuser, et plus tard Tristan et Isolde, qu'il découvrit à travers une version réduite pour piano à quatre mains. C'est sous le choc de cette découverte qu'il écrivit la Messe en ré mineur, bientôt suivie de celles en mi (1866) et en fa (1867). C'est en 1864 qu'il acheva également la Symphonie en ré mineur. Plus tard, il devait l'intituler Nullte, c'est-à-dire la numéro zéro : signe qu'elle ne trouvait plus grâce à ses yeux.
Cependant, la solitude, l'excès de travail et les déceptions sentimentales pesèrent à nouveau sur sa santé et plus particulièrement sur son équilibre psychique. Après avoir effectué une cure de repos à la station thermale de Bad-Kreuzen, près de Grein, le compositeur sollicita un poste au Conservatoire de Vienne. A partir d'octobre 1868, il y enseigna l'harmonie, le contrepoint et l'orgue comme remplaçant de son maître Sechter, décédé en septembre de l'année précédente. A cette époque, Edouard Hanslick, premier critique musical de Vienne et ami de Brahms, témoignait encore de la bienveillance à Bruckner ; son inimitié pour le compositeur s'éveilla lorsque celui-ci dédia sa troisième Symphonie à Wagner.
Succès à Paris et à Londres
En 1869, Bruckner fut invité en France pour inaugurer à Nancy l'orgue de Saint-Epvre, construit par les facteurs parisiens Merklin-Schütze. Il s'agissait en l'occurrence d'une sorte de joute musicale organisée par le vicaire de l'église, à laquelle allaient participer les organistes de renom. Girod (Namur), Renaud de Vilbrac (Paris), Stern (Strasbourg), Ply (Soissons) et Duval (Reims). Entre autres, les improvisations de Bruckner enchantèrent tellement les fabricants de l'orgue qu'ils l'invitèrent à leur tour à se rendre à Paris pour se produire à Notre Dame. A cette occasion, Bruckner disposa d'un orgue à la hauteur de son talent ; il s'agissait en effet du célèbre instrument construit par Cavaillé-Coll qui offrait tant d'extraordinaires possibilités avec ses cinq claviers. Parmi le public, on reconnu entre autres noms prestigieux César Franck, Camille Saint-Saëns, Daniel F. Auber, Charles Gounod et Amboise Thomas.
Deux ans plus tard, Bruckner eut l'occasion de donner une nouvelle série de concerts ; il fut invité en effet à l'inauguration de l'orgue géant du Royal Albert Hall de Londres. Au cours de ce tournoi, il rivalisa avec des musiciens aussi réputés que Lohr, originaire de Pest, Heintze de Stockholm et Mailly de Bruxelles. Le triomphe indiscutable de Bruckner l'amena à donner cinq autres récitals d'orgue au Crystal Palace de Londres, pendant la seconde quinzaine du mois d'août.
En 1872, Bruckner termina la Seconde Symphonie en ut mineur, qui inaugurait une nouvelle étape de sa production, voire même une nouvelle « manière » caractérisée par une plus grande maîtrise et une originalité plus profonde. Malgré tout et en dépit de sa réputation prestigieuse d'organiste, Bruckner, maintenant âgé de 50 ans, demeurait toujours un compositeur incompris. L'écho de ses grands succès français et anglais comme improvisateur masquait en partie le demi-échec qu'il essuyait dans son propre pays, où il n'était guère vénéré que dans un cercle restreint : à Linz et à Saint-Florian. On a pu dire avec raison que sa grande dévotion envers Wagner et l'amitié que celui-ci lui a toujours témoignée provoquèrent l'inimitié et l'opposition tranchées de Hanslick et de Brahms à son égard. On voit assez que les esthétiques divergentes empêchaient Brahms et Bruckner de se reconnaître comme pairs ; on n'a cependant aucun document qui démontre qu'ils se soient attaqués directement. En fait, les querelles et les bassesses étaient plutôt le fait de clans qui les avaient choisis pour chefs de file et pour symboles. il n'empêche que Bruckner eut énormément à souffrir de cette situation.
Une reconnaissance tardive
Cependant, Bruckner consacra l'essentiel de ses forces à l'édification de son œuvre symphonique. Après une longue série d'échecs ou de demi-succès, il fêta son premier triomphe viennois avec l'exécution de sa Quatrième Symphonie sous la direction de Hans Richter en 1881 : le compositeur avait 56 ans. Mais c'est sa Septième Symphonie qui valut à Bruckner compositeur la consécration internationale. A l'occasion de sa création à Leipzig en 1884, un critique que « son talent éveillait d'abord de la curiosité, puis de l'intérêt, ensuite l'admiration et finalement de l'enthousiasme ». Dès lors, ses œuvres furent successivement accueillies à La Haye, Dresde, Francfort, New York, Munich, Vienne, Leipzig et Karlsruhe. Alors que sa réputation publique gagnait de jour en jour en prestige, sa santé, malheureusement, se détériora gravement ; il ressentait en effet les premiers symptômes d'un mauvais état de santé général qui ne devait plus quitter : fatigue, indispositions, maux de gorge, rhumes et, surtout, une aggravation de ses tendances dépressives dont il n'avait jamais pu se libérer complètement.
En 1886, il créa son Te Deum avec beaucoup de succès ; Hanslick accueillit même favorablement cette œuvre. Les deux années suivantes s'écroulèrent pour le compositeur dans la tranquillité et le labeur. Il paraîtrait même que des amis communs à Brahms et à Bruckner tentèrent de les réconcilier, mais en vain. Les deux musiciens passèrent la soirée ensemble dans une auberge, mais se contentèrent d'échanger des propos anodins ; intérieurement, chacun coucha sur ses positions.
A la fin de 1880, Bruckner fut reçu par l'empereur en personne pour le remercier de la dédicace de sa Huitième Symphonie. Peu après, le gouvernement autrichien lui accorda même une pension annuelle de 400 gulden. Le 7 novembre 1891, il fut nommé docteur honoris causa de l'Université de Vienne ; la même année, la célèbre Singakademie viennoise lui décerna sa plus haute distinction.
Les adieux à la vie
Bruckner se rendit pour la dernière fois à Bayreuth en 1892. Il se recueillit longuement devant la tombe de Wagner, comme s'il pressentait que sa propre fin était proche. En 1893, Bruckner vit son état de santé défaillant s'aggraver encore d'une façon si alarmante que, le 10 novembre, il jugea opportun de rédiger son testament. Il y exprima sa volonté d'être enterré sous l'orgue de la cathédrale de Saint-Florian. Au cours des années suivantes, profitant des améliorations passagères de sa santé, Bruckner se rendit encore à Berlin (1894) pour y assister à l'interprétation de quelques-unes de ses œuvres. Il gagna ensuite en décembre Klosterneuburg : ce devait être pour la dernière occasion de jouer de l'orgue lors d'un office religieux. A la fin de son existence, Bruckner vivait dans un appartement que l'empereur lui avait réservé au château de « Belvédère supérieur ». C'est là qu'il travailla à sa Neuvième Symphonie, dont il ne put achever que les trois premiers mouvements, laissant le dernier à l'état d'ébauche. L'ombre de la mort se profilait déjà sur cette œuvre ; ce ne fut d'ailleurs pas en vain que Bruckner la destina à Dieu et qu'il intitula en outre l'adagio du troisième mouvement Les Adieux à la Vie.
Certes, la haute société viennoise avait reçu Bruckner, mais elle n'avait jamais considéré comme l'un de siens ce paysan du Danube. De plus, sa maladresse foncière, son manque d'éducation au sens mondain du mot et sa tenue négligée n'étaient pas de nature à rehausser son image. Nul doute que ce physique peu engageant fut pour beaucoup dans les échecs successifs de ses passions amoureuses. Et pourtant si ce célibataire forcé fut hanté jusqu'à la mort par l'idée du mariage, qu'il proposa d'ailleurs à des femmes de plus en plus jeunes.
Mais au milieu de ses déboires et de ses luttes, c'est la foi qui a été pour Bruckner une source intarissable d'inspiration. Aucun autre artiste du XIXème siècle ne semble avoir été enraciné aussi totalement dans la tradition et l'enseignement de l'Eglise catholique, ni avoir observé aussi rigoureusement toutes ses prescriptions jusque dans le détail de sa vie quotidienne. On peut penser que la solennité et l'ampleur de sa vision d'artiste est liée en quelque manière a cette spiritualité à la fois simple et extraordinairement profonde.
Bruckner mourut à Vienne le 11 octobre 1896. Ses funérailles furent célébrées à la Karlskirche le 14. On interpréta lors de la cérémonie la musique funèbre de l'adagio de sa Septième Symphonie, dans une version pour instruments à vent réalisée par Ferdinand Löwe pour la circonstance. Il sera enterré quatre jours après son décès dans la crypte de Saint-Florian, sous son orgue, conformément à ses dernières volontés.