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A Namur, Florian Noack dans un transcendantal premier concerto de Nikolai Medtner

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Namur. Namur Concert Hall. 19-IV-2024. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Coriolan, ouverture en ut mineur, opus 62. Nikolaï Medtner (1880-1951) : concerto pour piano et orchestre n°1, en ut mineur opus 33; Piotr Ilitch Tchaîkovski (1840-1893) : symphonie n°5, en mi mineur, opus 64. Florian Noack, piano. Belgian national orchestra, Antony Hermus, direction.

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Au Concert Hall de Namur, le pianiste proposait en compagnie du une vision hors normes, habitée et sculpturale du rarissime premier concerto opus piano opus 33 de .


Le mène depuis une bonne vingtaine d'années une politique de totale redynamisation, dans un contexte de négociations sociales assez tendues ces derniers mois. Mais outre un substantiel rajeunissement des effectifs, la phalange affiche une ambition clairement internationale – notamment  par une politique d'engagements de solistes prestigieux, la programmation d'importants concerts à l'étranger, ou encore par le biais une actualité médiatique intense (enregistrements discographiques, streamings, capsules video…). Depuis plus de vingt ans, les nominations successives de directeurs musicaux célébrés, telles celles de Mikko Franck – alors tout jeune – ou plus près de nous des expérimentés Walter Weller ou Hugh Wolff, ont permis, par un réel travail qualitatif de fond, au « National » de retrouver le lustre de ses meilleures et lointaines années.

Le chef d'orchestre néerlandais assume à plein temps son poste de directeur musical de la phalange depuis cette saison 2023-24. S'il est désormais bien connu du public belge, les mélomanes français ont aussi pu déjà apprécier son tempérament généreux, tant à l'opéra que dans le domaine symphonique à Lille, Lyon, Strasbourg ou Paris. Curieux défricheur de partitions rares ou oubliées, il a publié chez Cpo plusieurs CD très remarqués consacrés au répertoire germanique (von Hausegger, Klughardt) ou néerlandais (Diepenbrook, Wagenaar). Mais, pour faire bonne mesure en réponse à un concerto peu joué, il a choisi pour la part purement orchestrale de ce concert deux œuvres bien plus connues du public, et marquées par le Destin.

L'ouverture pour le Coriolan d'Heinrich von Colllin ouvre les débats : Beethoven, par la maîtrise expressive d'une forme-sonate très serrée, y a donné un des premiers et des plus saisissants portraits psychologiques de toute la littérature symphonique par sa violence éruptive et son angoisse irrépressible. Hermus envisage l'œuvre dans l'urgence, avec une grande unité de tempi tout en caractérisant fort bien les deux groupes thématiques quasi antinomiques ; il dirige à mains nues et semble littéralement sculpter le son par une implication physique de tous les instants, jouant là de son corps avec véhémence pour marquer les contretemps ou marquant ici les entrées des cordes graves ou de la petite harmonie de gestes péremptoires. Si cette vision très dramatique, très creusée de sonorité, ne manque ni d'élan ni d'à-propos, elle est quelque peu émoussée par l'acoustique réverbérée et chatoyante du lieu : on souhaiterait dès lors des attaques encore plus sèches ou râpeuses des cordes, et surtout des timbales actionnées par des mailloches beaucoup plus dures.

C'est de la même volonté d'expressivité dramatique doublée d'une générosité naturelle de conception qui préside en seconde partie de concert à une originale vision de la Symphonie n° 5 opus 64 de Tchaïkovski. Hermus, dirigeant encore sans baguette et avec une science consommée de l'étagement des plans sonores, y cultive, dès l'exorde une sonorité diaprée et grisâtre d'où émerge, sur un tapis feutré de cordes la clarinette superbement élégiaque et fantomatique de Julien Bénéteau ; l'allegro con anima s'y enchaînant se veut plus disert, voire instable dans son voltage : plutôt que d'user d'un irrépressible tactus alla Mravinsky, ou que de manier à grande échelle les transitions agogiques, tel autrefois un Karajan, le chef préfère insister plus séquentiellement sur la trame narrative du mouvement au prix de changements de tempi assez incessants, mais somme toute logiques. Sans aucun doute, l'andante cantabile constitue le sommet de cette interprétation : Hermus laisse littéralement chanter ses solistes, notamment le corniste Anthony Devriendt, superbe d'implication et de sonorité, avant de reprendre la main et d'organiser, telle une scène d'opéra, tout le mouvement dans un inexorable crescendo menant au menaçant climax, marqué par le retour du thème du Fatum. La Valse permet de relâcher quelque peu les brides et la tension, par une verve chorégraphique des mieux venues, avant un final plus décevant, manquant de fièvre et de ressort, un rien prudent et prosaïque dans ses choix de tempî et organisé derechef par « séquences » loin du flux unitaire de la logique architecturale. On notera l'excellente performance globale, stylée et soignée, d'un orchestre national retrouvé, heureusement épanoui et audiblement en pleine communion avec son directeur artistique.

Mais incontestablement, le moment fort de la soirée demeure avant l'entracte la version, spirituellement habitée et techniquement très assumée, offerte par du peu couru et difficile premier concerto, en ut mineur, opus 33 de Nikolai Medtner. L'on connait l'intérêt du pianiste belge formé aux Musikhochschulen de Cologne et de Bâle pour les répertoires plus rares, tels les partitions de Lyapounov, ou précisément de Medtner – d'ailleurs au programme d'un de ses premiers disques récitals (paru chez Artalinna).

Si on l'a souvent rapproché le compositeur russe de son quasi contemporain et grand ami Sergueï Rachmaninov, il ne bénéficie pas  loin s'en faut, de la même notoriété ou popularité. Sans doute moins spontané dans l'invention mélodique, il peut dérouter l'auditeur par l'élaboration de partitions – du moins les plus ambitieuses – selon des processus évolutifs certes profondément unitaires mais extrêmement complexes, par leur effet-mémoire.

Du point de vue formel, ce premier concerto – trente-cinq minutes d'un seul tenant – est proche de la première symphonie de chambre de Schönberg, par la fusion en un grand tout des divers mouvements, tous issus du même matériau pour aboutir à une gigantesque forme-sonate (dont par exemple, l'exposition constitue l'allegro initial ou les variations centrales le développement). Le langage est dans le sillage du dernier romantisme – notamment lisztien, avec cette quasi-citation du second concerto pour piano du maître hongrois au mitan de l'œuvre – mais avec l'enrichissement harmonique typique au tournant du XXᵉ siècle par cette émancipation nouvelle et occasionnelle – de la dissonance à des fins expressives (l'exorde de l'œuvre !)

domine cette difficile et exigeante partition de la tête et des épaules. Des doigts très en verve viennent avec une apparente facilité des chausse-trappes techniquement les plus ébouriffants ; ce virtuose cache l'art par l'art, avec cette vision aboutie et transcendante, fruit d'un travail que l'on devine acharné. Il vient ainsi à bout, et toujours avec une expressivité redoublée et une musicalité sculpturale, des écheveaux polyphoniques les plus inextricables ou des traits techniques les plus redoutables – entre autres tous ces passages octaviés ! La sonorité très ronde et pleine demeure royale et clairement perceptible même au sein des tutti d'orchestre les plus dévastateurs. Mais il y a, avant tout, cette conception unitaire, ce sens du récit et de la direction discursive qui permet à l'auditeur de ne jamais se perdre au sein de cette partition tentaculaire. Il est admirablement secondé par un très concerné et attentif (retrouvant pour l'occasion sa baguette !) clarifiant au maximum les textures orchestrales les plus drues de l'imposante partition, et par un très cohérent et impliqué. A noter que nos interprètes devraient fixer pour le disque leur interprétation de ce chef-d'œuvre quasi inconnu et peu fréquenté (Tozer,  Alexeev et surtout Sudbin) en studio dans les semaines qui viennent pour une parution prévue l'an prochain.

En bis, Florian Noack nous offre, en total contraste, une autre facette de son talent : celui du transcripteur à la recherche de l' »inaudit » avec cette courte danserye de , – que l'on peut retrouver sur son dernier disque I wanna be like you (La Dolce Volta) – très exacte rythmiquement quoique agréablement ornementée de fastes guirlandes dans ses redites successives. Décidément, voilà un maître-pianiste.

Crédits photographiques : Florian Noack © Danilo Floreani ; Belgian National Orchestra © ONB ; © Nafissa Yaouba

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Namur. Namur Concert Hall. 19-IV-2024. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Coriolan, ouverture en ut mineur, opus 62. Nikolaï Medtner (1880-1951) : concerto pour piano et orchestre n°1, en ut mineur opus 33; Piotr Ilitch Tchaîkovski (1840-1893) : symphonie n°5, en mi mineur, opus 64. Florian Noack, piano. Belgian national orchestra, Antony Hermus, direction.

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