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A Lausanne, Guillaume Tell de Rossini

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Lausanne. Opéra. 6-X-2024. Gioachino Rossini (1792-1868) : Guillaume Tell, opéra en quatre actes sur un livret d’Victor-Joseph Etienne de Jouy et Hyppolyte-Louis-Florent Bis, d’après la pièce éponyme de Friedrich von Schiller. Mise en scène : Bruno Ravella. Décors : Alex Eales. Costumes : Sussie Juhlin-Wallén. Chorégraphie : Carmine De Amicis. Lumières : Christopher Ash. Avec Jean-Sébastien Bou, Guillaume Tell ; Géraldine Chauvet, Hedwige ; Elisabeth Boudreault, Jemmy ; Olga Kulchynska, Mathilde ; Julien Dran, Arnold ; Frédéric Caton, Walter Furst/Melchthal ; Luigi De Donato, Gessler ; Jean Miannay, Rodolphe ; Marc Scoffoni, Leuthold ; Warren Kempf, un chasseur ; Sahy Ratia, Ruodi, un pêcheur. Chœur de l’Opéra de Lausanne (direction : Alessandro Zuppardo). Orchestre de Chambre de Lausanne. Direction musicale : Francesco Lanzillotta.

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Pour l'ouverture de la saison 2024-2025 sous l'égide de son nouveau directeur Claude Cortese, l'Opéra de Lausanne présente Guillaume Tell de , en version originale en français, dans une lecture scénique terne mais musicalement solide.


Que peut-on attendre d'un opéra où la princesse Mathilde, fille du Duc de Habsbourg et sœur du tyran Gessler, déclare dans un ultime duo avec son amant Arnold : « Je ne verrai plus mon Emmenthal ! » ? Certes, cette réplique ne se trouve dans aucun livret original de l'opéra de Rossini, cependant, elle figure dans la production lausannoise. Quelle plus belle rime pour Melchtal, le nom de famille d'Arnold ? Incise humoristique faisant probablement partie de l'adaptation avouée de l'argument par le metteur en scène , né à Casablanca de parents italiens et polonais, étudiant en France et installé à Londres ! Comprenant qu'il ne puisse être un Helvète de souche et connaître tout de Guillaume Tell, figure de légende de l'histoire populaire de la Suisse, personnification de la liberté gagnée sur l'oppression étrangère, on lui signalera toutefois que l'Emmenthal, vallée où est produit le célèbre fromage (plus connu par ses trous que par son goût) se trouve dans le canton de Berne et non pas dans les lieux où se déroulent l'intrigue. Mais dans cet opéra, on en n'est pas à une incongruité historique (ou géographique) près puisqu'il semble que Guillaume Tell n'aurait pas réellement existé et qu'il n'est aucunement impliqué dans le pacte d'entraide conclut entre les cantons d'Uri, de Schwytz et d'Unterwald en 1291, pacte fondateur de la Suisse et principal argument proposé par les librettistes de Rossini pour son opéra.

Ce mot d'humour est à peu près la seule surprise que nous réservera dans sa mise en scène. Sauf, peut-être, cette première scène où les villageois entrent en rythme -trois pas en avant, deux en arrière – coiffés de bancs qu'ils vont disposer sur la scène pour la préparation de la fête du mariage. Une fête tenant plus de la cérémonie initiatique d'une secte que de la liesse attendue d'un mariage. Mais le lever de rideau avec sur fond de scène une toile de Ferdinand Hodler a tôt fait de nous convaincre de la suissitude du propos. Ceci d'autant plus que l'ouverture, musique on ne peut plus populaire, venait d'être donnée dans une interprétation de toute beauté. La baguette de à la tête d'un excellent sait éviter les clichés souvent donnés à cette musique. En favorisant quelques mesures suspendues, quelques silences prolongés et des contrastes sonores finement accrochés, il démontre une sensibilité musicale remarquable  dont on peut s'abreuver tout au long de la soirée. Et quelle musique que celle de ce Rossini. Des couleurs d'une grande beauté parfaitement relayées par la fosse du théâtre de l'Opéra de Lausanne.


Dans sa mise en scène d'un statisme souvent navrant, nous montre des scènes qui se succèdent sans qu'il parvienne à diriger ses personnages autrement qu'investis dans leur chant. Ainsi on assiste à un duo d'amour entre Arnold et Mathilde où, côte à côte, ils chantent à pleine voix en faisant face au public. Comment croire à leur amour ? Que dire des costumes (Sussie Juhlin-Wallèn), sinon qu'ils sont inadéquats. Si ces robes longues de couleur pastel peuvent convenir à la cérémonie des mariages, elles n'ont plus leur raison d'être lors de la révolte des femmes paysannes. Quant aux décors (), si le tableau « hodlerien » d'ouverture nous avait charmé, la forêt aux arbres dénudés est d'une rare laideur.

Restent les chanteurs. Tous très bien préparés même si pour la majeure partie d'entre eux, il s'agit d'une prise de rôles. Ajouter à cela, les peurs naturelles d'une Première, on pouvait craindre le couac. Rien de tel. Si le chant s'en sort donc avec bravoure, on ne peut en dire autant de l'aspect artistique de celui-ci. A commencer par le rôle-titre. Le baryton (Guillaume Tell) possède un instrument vocal puissant, avec des aigus et un médium particulièrement brillants, mais son registre grave (souvent sollicité dans ce rôle) manque sensiblement de corps. Reste qu'il assure le spectacle de sa présence scénique, quand bien même on le senti vocalement moins à l'aise en fin de soirée. Des autres messieurs, on reste impressionné par la présence vocale de (Gessler), tout comme par la qualité de la diction du baryton (Leuthold). Honnêtes les prestations de la basse (Mechtal/Walter Fust) et du ténor (Rodolphe). Quant au ténor (Ruodi, un pêcheur), peut-être libéré du stress de la Première pourra-t-il être plus convaincant. Du côté des dames, la mezzo-soprano (Hedwige), dans une robe ample et des étoles inadéquates à ce rôle, offre une prestation solide et sensible. La soprano (Jemmy) embrasse le rôle travesti du fils de Guillaume Tell avec une belle énergie et une vocalité éclatante, parfois même au-delà de ce que la musicalité d'ensemble pourrait demander. Autre personnage féminin de l'intrigue, la soprano (Mathilde) impressionne par son degré de préparation à ce rôle. Avec une diction française sans faille, elle jouit d'une technique vocale accomplie quand bien même lui restent quelques stridences dans le haut-médium. A noter toutefois, comme pour pratiquement tous les chanteurs du plateau, une tendance assez marquée à chanter forte et, peut-être par manque de connaissance ou de préparation vocale, une certaine ignorance du style de chant du grand opéra. Ce Rossini-là n'est pas encore Verdi et n'est plus Donizetti !
Ce qui nous amène au rôle qu'on a souvent défini comme « l'impossible ténor ». En effet, le rôle d'Arnold demande de qualités vocales que peu d'interprètes peuvent se vanter de posséder. Les aigus, les contre-ut, et Dieu sait si cette partition en est truchée, ne suffisent pas à être lancés. Encore faut-il les chanter de la bonne manière afin que le texte prenne sa couleur et sa valeur théâtrale. Avec le ténor (Arnold), on peut dire qu'il possède le spectre vocal entier de la partition. On aime son « Asile héréditaire » et sa prestation générale est impressionnante, impeccable et spectaculaire, pour autant elle manque de l'artiste. A suivre l'exemple peut-être d'un Juan Diego Florez aujourd'hui, il en tirerait des avantages qui lui permettraient de gagner en souplesse dans son jeu et surtout, de garder de la fraîcheur jusqu'à la fin de la soirée.

Enfin, le Chœur de l'Opéra de Lausanne qui tient une partie importante de l'intrigue apparait lui aussi parfaitement préparé et capable des plus subtiles intonations.

Crédit photographique : © Carole Parodi / Opéra de Lausanne

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