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Au disque, l’opéra Les Bienveillantes d’Hèctor Parra

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CD ; Hector Parra (né en 1976) : Les Bienveillantes, opéra en sept parties, livret de Händl Klaus d’après le roman de Jonathan Littell. Peter Tantsits, Maximilian Aue ; Rachel Harnisch, Una von Üxküll-Aue ; Günter Papendell, Thomas Hauser ; Natacha Petrinsky, Héloïse Moreau (mère) ; David Alegret, Aristide Moreau (beau-père) ; Gianluca Zampieri, Dr. Mandelbrod/Grafhorst/Kaltenbrunner ; Michael J.Scott, Kommissar Clemens/Häfner/Capitaine 1 ; Donald Thomson, Kommissar Weser/Hartl/Ober/Bierkamp/Capitaine 2 ; Claudio Otelli, Blobel/Dr. Hohenegg/Organiste ; Quatuor vocal : Hanne Roos, Hilde/Femme 1 ; Maria Fiselier, Helga/Femme 2 ; Denzil Delaere, Kris Belligh, Hans/Mann/Russe ; Sandra Paelinck, Hedwig ; Erik Dello, Dejan Toshev, Mark Gough, Schupos ; Jeanne-Minette Cilliers, Pianiste (Sarabande). Orchestre Symphonique de l’Opéra Ballet Vlaanderen ; chœur de l’Opéra Ballet Vlaanderen ; direction Peter Rundel. 3CD B.Records LBM 062. Enregistrement public les 14 et 16 mai 2019 à l’Opéra de Gand ; texte en français, anglais, espagnol ; 2h54

 
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Respectant le désir impérieux du romancier Jonathan Littell « de réserver la représentation visuelle des Bienveillantes aux seuls spectacles vivants », c'est en CD que sort le sixième opéra (2019) d', plongeant durant près de trois heures les auditeurs privés d'images dans les ambiguïtés du personnage principal, l'officier SS Maximilien Aue et le récit des atrocités du régime hitlérien auxquelles il participe.

Condenser en 70 pages le roman de près de 1000 pages de Jonathan Littell est le défi que relève le librettiste Händl Klaus qui préserve néanmoins le découpage originel de Littell en sept parties/mouvements issus de la suite baroque : Toccata, Allemande, Courante, Sarabande, Menuet, Air et Gigue ; une référence qui confronte de manière saisissante l'univers musical et le monde de la barbarie. Max Aue, membre actif du Troisième Reich, est lui-même passionné par la musique, celle de Bach en particulier : « Bach est l'air que je respire », dit-il à la fin de la Toccata. Ainsi a-t-il eu l'idée de concevoir sa partition sur le modèle de la Passion selon Saint Jean du Cantor de Leipzig (« l'arrière-plan tragique fondamental ») mêlant au sein de l'opéra des composantes de l'oratorio avec l'intervention de « récits » (passages strictement parlés) et le rôle participatif des chœurs : le quatuor vocal, d'abord, qui incarne à la fois les bourreaux et les victimes, et le chœur « de turba », voix collective prenant part au récit. Dans le texte passionnant et dûment illustré (esquisses et exemples musicaux en couleur) qu'écrit le compositeur dans le livret du coffret, sont mentionnées les nombreuses références et citations qui traversent son écriture, de Bach à la Symphonie n°13 « Babi Yar » de Chostakovitch, de Wozzeck et Lulu de Berg aux Soldats de Zimmermann (opéra de guerre) en passant par Bruckner et Wagner, musiques de films et chansons : autant d'emprunts plus ou moins reconnaissables qui texturent la matière orchestrale en « une intense polyphonie hypertextuelle », selon les mots du compositeur.

Sans faiblir, face à un texte, presque insoutenable parfois, qu'il fait chanter, Parra modèle son orchestre et ses profils vocaux avec une précision dans l'écriture et une puissance du geste dramaturgique qui sidèrent. Superbe monologue de Max, la Toccata donne le ton et campe le personnage, du parler au chanter pour le ténor dont la voix aussi flexible que puissante se met au service du texte. L'Allemande I et II atteint des sommets d'horreur avec, notamment, l'épisode innommable de Babi Yar quand la Courante fait intervenir la sœur jumelle de Max, Una/Rachel Harnich, avec qui il entretient une relation incestueuse. Avant d'écrire le Menuet (en rondeaux) (5), sorte de parenthèse hors temps dans cette descente aux enfers, s'est rendu au camp d'Auschwitz-Birkenau, « interrogeant et poussant mes émotions au paroxysme au contact des cendres de Birkenau », confie-t-il ; une démarche qu'il va reconduire dans son dernier opéra Justice (2024) où il éprouve le même désir d'aller en terre congolaise pour recueillir des témoignages et ressentir la vibration des lieux in situ. Menuet (en rondeaux), la partie la plus longue du roman de Littell (300 pages), consiste, dans le livret de Händel Klaus, en un poème étrange inspiré par une scène du roman, celle des fourmis transportant des petits restes de chair et d'os humains… Chanté par Rachel Harnich, l'air est introduit par de somptueux accords spectraux que sublime le soprano velouté de la chanteuse planant dans les aigus stratosphériques de son registre. On pense au Lied de Berg über die Grenze des All dans les Altenberg Lieder ou encore à la prière de Marie dans Wozzeck. Après avoir assisté aux horreurs perpétrées par l'armée soviétique, dont les détails ne nous sont pas épargnés, Max revient à Berlin où il est décoré par Hitler : la scène donne lieu à un moment de théâtre où Parra met Max en scène dans un one-man-show totalement délirant, laissant apprécier l'abattage vocal du ténor dont le rôle écrasant est assumé avec un brio exceptionnel et un nuancier de timbres qu'il fait évoluer au gré des situations dramatiques.

À ses côtés, le baryton /Thomas Hauser, l'ami fidèle qui lui sauve la vie plus d'une fois, est une voix bien trempée et vaillante que rien ne vient déstabiliser. Mise en valeur dans l'hypnotique Menuet, la soprano incarne Una, la sœur jumelle de Max et la part d'humanité, peut-être, dans ce couple incestueux. On la retrouve dans la Sarabande où elle unit sa voix à celle de son frère chéri. La scène se passe à Antibes (« Le sel dans l'air de mon enfance », confie Max) où, décoré de la croix du mérite de guerre, le fils indigne est venu rendre visite à sa mère et son beau-père qu'il tue froidement à la fin de cette quatrième partie. /Héloïse Moreau est la mère haïe. Soprano dramatique rien moins qu'accueillante, elle toise son fils dont elle rappelle la conduite envers sa sœur (« maudite engeance ») ; son mari, Moreau/, s'exprime en français avec Max, ténor héroïque un rien hurlant qui tente en vain de cacher son antipathie pour ce beau-fils monstrueux. , , et Kris Belligh, les chanteurs du quatuor vocal assumant la fonction du « chœur antique », endossent également divers rôles solistes ; tout comme le ténor tonitruant cumulant les rôles les plus sordides (Dr. Mandelbrod/ Grafhorst/ Kaltenbrunner). Participent aussi à cette cohorte de personnages peu recommandables, le ténor (Kommissar Clemens / Häfner / Capitaine 1), le baryton (Kommissar Weser/Harti/Ober/ Bierkamp/ Capitaine 2) et le baryton-basse Claudio Otelli (Blobel/Dr.Hohenegg/Organiste) qui ne déméritent pas. La liste est longue à laquelle on peut encore ajouter les trois Schupos (agents de police allemands), Erik Dello, Dejan Toshev et Mark Gough, qui complètent un casting très homogène servant la myriade de personnages et d'émotions qui traversent cet ouvrage.

Collaborateur fidèle, Peter Rundell est à la tête des forces de l'Opéra Ballet Vlaanderen, maitre d'œuvre exemplaire de cette partition ambitieuse enregistrée durant les représentations de Gand ; une version audio qui, certes, nous prive de la mise en scène de Calixto Bieito mais qui n'en projette pas moins ses propres images avec une force inouïe.

 

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