Chefs d'orchestre, Entretiens

Barbara Hannigan et l’alchimie des collaborations musicales

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revient pour nous sur son actualité et les prochains temps forts qui vont ponctuer les saisons à venir. C'est l'occasion d'évoquer plusieurs collaborations marquantes, des artistes rares avec lesquels une profonde alchimie est présente.

ResMusica : Votre nomination en tant que cheffe d'orchestre et directrice artistique de l'Orchestre symphonique d'Islande a récemment été annoncée. Qu'est-ce qui vous a poussé à accepter ce poste ?

: Quelques orchestres m'avaient demandé si je les laisserais me considérer comme leur chef. J'ai refusé parce que je ne me voyais pas dans ce rôle, même s'il s'agit d'orchestres que j'aime beaucoup. Mais avec l'Orchestre d'Islande, ils sont très courageux et possèdent un grand sens de la liberté et de l'expérimentation avec le son dans tous les types de musique. Même dans Haydn, Berg, Strauss ou Poulenc. Ils sont extrêmement ouverts.

J'en suis au point où je pense que ce serait une expérience absolument unique pour moi de programmer et devenir directrice artistique d'un orchestre après l'avoir été en tant qu'invitée de tel ou tel festival avec la programmation que je fais chaque fois. Il était donc temps de passer à l'étape suivante. Je devais accepter car c'est une très bonne combinaison. Je suis très enthousiaste et j'y vais les prochaines saisons juste pour regarder et écouter. Ils sont magiques tout comme l'Islande.

RM : Vos fonctions avec l'ISO débuteront en août 2026. Combien de temps prévoyez-vous de travailler avec cette formation par an ?

BH : Il est prévu six semaines pour les concerts par saison, plus du temps additionnel pour les enregistrements et les tournées. Je suis très intéressée par le travail au sein de leur système éducatif, de l'orchestre des jeunes ; jouer pour ceux qui ne peuvent plus se rendre aux concerts. Je le fais déjà beaucoup au Canada. Nous allons réfléchir à ce qu'on veut enregistrer, mais ce n'est pas tant la question du quoi, c'est le pourquoi. Je suis en train de rassembler ces questions. J'ai examiné leurs dix dernières saisons et j'ai tous leurs livrets. Quel répertoire ont-ils fait ? Comment le combinent-ils avec d'autres ? Quels compositeurs, quels solistes, quels chefs reviennent ? J'essaie de me faire une idée de la manière dont ils aiment travailler. J'ai écouté toutes sortes de musique islandaise. Ils sont tous très polyvalents.

RM : Avez-vous l'impression que la culture islandaise a une sensibilité différente à l'égard du leadership ?

BH : Ils sont très coopératifs, mais c'est quelque chose que j'observe dans tous les pays scandinaves, peut-être même davantage. Ils s'écoutent les uns les autres. J'ai fait des recherches sur l'histoire de l'Islande et sur la première femme présidente. Il faudra que vous me posiez la question dans un an parce que je n'ai occupé qu'un poste de direction que lorsque je suis allée là-bas. J'ai ma façon de diriger qui correspond très bien à leur façon d'être mais j'ai besoin de les voir avec d'autres chefs et savoir comment ils sont. C'est la raison pour laquelle j'y vais à l'automne et au printemps. Il est certain que les membres de l'orchestre s'apprécient beaucoup.

C'était vraiment génial la deuxième fois où j'y suis allée. Nous ne sommes pas seulement restés à Reykjavik. Nous avons pris l'avion pour Akureyri avec Golfam Khayam. C'était un moment à part. Lorsque on se retrouve à voyager ensemble, on crée immédiatement des liens différents.

RM : Vous venez de sortir un nouvel album avec consacré à Messiaen. Ce répertoire semble être du « sur mesure » pour vous deux.

BH : Les Chants de Terre me semblent particulièrement l'être ! La première fois que je les ai entendus, je ne les connaissais pas du tout. Je donnais une master class au Canada et une très jeune chanteuse a interprété une des chansons. Comment était-il possible que je ne les connaisse pas ! Dès lors j'ai pensé qu'elles étaient parfaites pour moi. C'était très spécial de les apprendre avec Bertrand.

Nous sommes allés dans la maison de Reinbert de Leeuw à Châteauneuf-Grasse pour travailler ce cycle la première fois, juste après sa mort. Il y avait son piano là-bas qui après est venu chez moi en Bretagne, et nous avons ensuite travaillé dans ma maison. Reinbert et Messiaen étaient très proches. Bertrand a une grande admiration pour Reinbert et il s'agit d'une collaboration très importante à travers cette musique.

J'aime beaucoup la combinaison de la spiritualité et de la sensualité. Il y a une qualité érotique presque comme si la permission était donnée par Dieu pour Messiaen. A l'image d'une extase spirituelle qui n'existerait pas sans son amour « pour Mi », Claire, et on le ressent.

Le cycle est extrêmement difficile et je suis très excitée à l'idée de le mémoriser pour la grande tournée à venir au Canada et aux États-Unis. Ce CD a été un très beau processus dans le studio où j'enregistre presque toujours mes disques avec le même ingénieur du son. Bertrand avait son technicien de piano de longue date. La Mort du nombre, je la chante depuis 25 ans. Charles et Vilde sont parfaits pour ce morceau.

RM : Vous dites que a changé votre vie. Pouvez-vous nous parler de lui et de comment est née votre fructueuse collaboration ?

BH : Cela date de 2015 à New-York quand une de mes amies a voulu que je le rencontre autour d'un déjeuner dans ce restaurant thaï qu'il adore. Nous avons parlé pendant un moment. J'étais là-bas pour Written on Skin. L'idée est alors venue d'entamer une collaboration. Je n'ai pas chanté sa musique avant 2018. Nous étions en contact et je travaillais dessus. Après, il a écrit d'autres pièces.

J'ai commencé par Jumalattaret, qui m'a presque tuée. Split the Lark pour piano, soprano et piano. Ab Eo, Quod pour soprano, vibraphone, violoncelle, batterie et électronique. Star Catcher pour soprano, piano, basse et batterie. Liber Loagaeth pour soprano et quatuor à cordes. Tout est écrit, même si pour Star Catcher, il y a de petites sections dans lesquelles je peux improviser. Il y a chaque note et pas de graphique. Ce qui est intéressant, c'est qu'il s'inspire souvent du “pouvoir féminin”. Jumalattaret parle de déesses finnoises. Split the Lark, d'Emilie Dickinson. Ab Eo, Quod est sur le peintre Leonora Carrington. Star Catcher sur Remedios Varo.

John est incroyablement exigeant mais en même temps, il nous soutient beaucoup. Quand nous travaillons, il est vraiment avec nous sur scène ou assis au premier rang, dans les coulisses en train d'observer. Quand je suis partie en tournée avec eux à l'automne, si vous ne jouez pas, vous n'êtes pas dans votre loge mais avec tout le monde. Il possède beaucoup d'énergie. C'est très intense. A 70 ans, il a vécu dans le milieu depuis toujours. Il veut travailler avec des personnes qu'il connaît et en qui il a confiance. Il ne va pas voyager à travers le monde avec les musiciens dont il s'occupe et nous mettre dans une situation précaire qu'il s'agisse de l'équipe en coulisses, du responsable d'un festival. C'est assez incroyable.

RM : Quels sont vos projets pour la prochaine saison ? Préparez-vous de nouvelles œuvres notamment en concerto ?

BH : Il y aura le Stabat Mater de Pergolèse à Genève. Je suis curieuse car ce projet va être un défi de taille. Il s'agit de collaborer avec Castellucci avec qui j'ai toujours voulu travailler. Je suis assez nerveuse ce qui est une bonne chose. J'ai la tournée avec et quelques premières mondiales. J'ai fait beaucoup de recherches sur les débuts de la musique américaine, dans les années 1920-1930, quand ils essayaient de construire leur propre paysage sonore. J'ai créé des programmes avec des compositeurs pas très connus ici, comme Carl Ruggles. Il est vraiment très intéressant, du XIXe siècle juste après Ives, à la même époque qu'Henry Cowell. Ce sera à la Philharmonie de Munich. J'ai des programmes avec Ives, Barber, Ruth Crawford Seeger et d'autres compositeurs dont personne n'a jamais entendu parler. Et il y a le Concerto en sol de Ravel. Nous avons parlé de le faire avec Bertrand dans deux saisons à Göteborg. Ce sera alors mon premier concerto pour piano.

Crédits photographiques : © Marco Borggreve; Annelies Va Der Vegt

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