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20e anniversaire du Lille piano(s) festival : entre marathon mozartien et jeunes talents

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Lille. 16-VI-2024. Lille Piano(s) festival. « Marathon Mozart ».

14h30 : Conservatoire. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonate pour piano n° 7, en ut majeur KV 309 ; n°5 en sol majeur KV 283 ; n°11 en la majeur, KV331. Herbert Schuch, piano

Espace cinéma de l’ancienne gare Saint-Sauveur : 16h30. Franz Liszt (1811-1886) : deuxième année de pèlerinage, l’Italie, S.161. Kevin Chen, piano

18h30 : Frédéric Chopin (1810-1849) : Variations sur « La ci darem la mano » de Mozart op. 2. Maurice Ravel (1875-1937) : Gaspard de la Nuit M.55 ; Toru Takemitsu (1930-1996) : Rain Tree sketch ; Mili Balakirev (1836-1910) : Islamey, fantaisie orientale op. 18. Masaya Kamei, piano

20h : Nouveau Siècle. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : concertos pour piano n°13 en ut majeur KV 415 ; n° 24 en ut mineur KV 491 ; n° 20 en ré mineur KV 466. Pierre-Laurent Aimard (13), Adam Laloum (24), Jonathan Fournel (20), piano. Orchestre National de Lille, direction : Joshua Weilerstein

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Le Lille Piano Festival fête cette année ses 20 ans et marque le coup avec un marathon Mozart, comprenant entre autres, une intégrale des dix-huit sonates pour clavier, un panel de quinze concerti, des cartes blanches offertes à de jeunes virtuoses… À chaque auditeur d'établir son itinéraire : voici le nôtre, dominical et en quatre étapes.   

Rendez-vous donc tout d'abord, à 14 heures 30 avec pour l'un des six récitals intégralement dédiés aux sonates de Wolfgang. La Sonate n° 5 en sol majeur KV 283 révèle une approche très directe et solidement architecturée (une main gauche très présente, une sonorité ronde et pleine) à défaut d'une grande subtilité de nuances, plus forte que piano, d'une palette variée de couleurs ou d'une innovatrice originalité de phrasés : ce Mozart bien campé, plus libertaire que corseté, presque spartiate d'allure ne s'embarrasse pas de chichis. Vu l'absence de toute reprise pour de probables raisons de timing, la Sonate en sol K 283 se révèle assez expéditive, et l'andante central manque de cet instinctif cantabile et demeure assez prosaïque. En revanche l'approche de la célèbre Sonate en la majeur K 331 alla turca se révèle bien plus intéressante au gré de son long thème et variations, égrené avec une minutie horlogère, en perpétuel balancement entre tendresse rêveuse et ironie légère ou amusée, sans oublier la sehnsucht préromantique de la variation mineure. Schuch détaille avec la même verve un menuet faussement amidonné, avant de lâcher quelque peu les brides au fil de la marche turque conclusive : pas de gruppetto liminaire mais un accord dissonant semblant figurer le cortège un rien claudiquant de capricieux janissaires en vadrouille. Il y témoigne enfin un peu d'humour narquois au gré des divers épisodes en mode mineur jusque dans cette ultime exposition mâtinée soudainement d'une ornementation délurée confinant à la totale improvisation.

Nous gagnons ensuite l'espace cinéma de la gare Saint-Sauveur, et son acoustique un rien trop sèche. A été retenu pour les divers concerts en ce lieu un de ces fameux pianos à cordes parallèles issus de l'atelier du Belge Chris Maene : un choix qui nous laisse perplexe car si un certain historicisme organologique peut à la rigueur se justifier, force est de constater que l'instrument tient difficilement l'accord, son harmonisation demeure problématique et sa sonorité assez verte voire métallique convient presque paradoxalement mieux à Ravel ou Takemitsu qu'au répertoire romantique.

À16 h 30, l'encore très jeune (dix-neuf ans) , lauréat de multiples concours internationaux (Arthur Rubinstein en 2023, Genève  en 2022) et toujours en perfectionnement en la Hochschule für Musik de Hanovre sous la houlette d'Arie Vardi, propose comme carte de visite rien moins que la Deuxième année de pèlerinage de Liszt. Certes tout y est dit, et souvent fort bien, avec un sens de l'éloquence ou de l'effet de manche (malgré une main gauche que l'on souhaiterait ci et là plus présente ou plus articulée) mais tout ne semble pas compris ou intégré pour assurer la cohérence de l'ensemble, au gré de ce Sposalizio parfois un rien précipité dans ses effets, d'un Pensieroso plus méditatif que vraiment ténébreux, ou cette Canzonetta del Salvator Rosa manquant d'humour et de second degré. Mais incontestablement les trois Sonnets de Pétrarque révèlent d'avantage un vrai poète du son, attentif à l'épanchement des phrasés et à l'expressivité de la ligne. Après un début prometteur – ces accords inauguraux péremptoires – la Sonata quasi una fantasia « après une lecture du Dante » alterne le chaud et le froid au prix d'un certain morcellement du discours ; le jeune virtuose canadien y semble plus à l'aise dans l'évocation d'un enfer sardonique (la coda est impressionnante de projection sonore) que dans l'allusion de l'angélisme le plus séraphique. En bis, la transcription-paraphrase, toujours selon Liszt, du Widmung (extraits des Myrthen schumanniens) emporte notre adhésion par son élan irrépressible et sa passion dévorante, et révèle, outre des moyens techniques impressionnants, les très réelles qualités musicales de ce jeune virtuose, parfois encore un rien superficiel.

À 18h30, en ce même lieu,  , premier prix ex-aequo du Concours Long-Thibaud-Crespin 2022, et formé en grande partie au Japon, témoigne d'une belle approche du clavier et d'un incontestable sens du fini pianistique, par cette sonorité claire ondoyante et cette maîtrise de l'équilibre des plans sonores. Les variations sur La ci darem la Mano , l'opus 2 de déclinant derechef de mille traits un Mozart opératique, et données évidemment dans leur rédaction soliste, le révèlent très inspiré dans l'individuation de chaque épisode, et supérieurement organisé dans la gestion des contrastes. Mais le côté brillantissime, et uniment virtuose de son approche interprétative montre ses limites dans le Gaspard de la Nuit de : si l'ambiance aquatique liminaire, et le jeu particulièrement perlé et raffiné d'Ondine laissent augurer une affinité élective avec le répertoire français, avouons sur l'ensemble du cycle une certaine déception. Le climax de ce premier temps semble amené de manière plate et assez indifférente, le Gibet, certes difficile à animer au gré des cent cinquante-trois répétitions de l'octave de si bémol, s'enlise dans un statisme récurrent, sans jamais maintenir une tension palpable au fil de ce tableau mi macabre mi fantastique ; quant à Scarbo il tourne quelque peu à la démonstration digitale avec cet écueil d'une relative neutralité dans l'évocation géniale du gnome nocturne et gothique. Le côté « romantisme noir » du cycle échappe donc à notre interprète, qui place un peu trop l'œuvre dans la course échevelée à la virtuosité démonstrative, telle qu'elle figure en cette Islamey de Balakirev que Ravel disait avoir voulu concurrencer avec son Scarbo. Mais, derechef, toute la section centrale de ce tableau oriental, beaucoup plus amène et moins uniment prolixe, demeure assez neutre et indifférenciée et laisse impavide. Pourtant la brève miniature Rain Tree sketch de ou la mazurka de Chopin donné en bis, révèlent un authentique poète du son, peut-être plus à l'aise dans l'énonciation calibrée de ces aphorismes distingués que dans le brossage plus dispendieux de vastes fresques narratives.

À 20h heures, nous gagnons l'auditorium Jean-Claude Casadesus du Nouveau Siècle, Trois des cinq rendez-vous dédiés aux concerti ont été confiés à l', fragmenté en trois entités plus chambristes placées sous la direction de leur ancien (Jean-Claude Casadesus), encore actuel (Alexandre Bloch) et futur () directeurs musicaux. C'est à ce dernier qu'il échoit donc de conclure ce week-end festif essentiellement mozartien. Le jeune chef américain a retenu la leçon des interprètes historiquement informés (accentuation décapante, vibrato a minima aux cordes, petite harmonie très voire trop présente, timbales aux mailloches très dures), mais en accentue certaines options (contrastes dynamiques, découpe des plans sonores, phrasés assez rupteurs, incises rythmiques exacerbées) de manière presque caricaturale. Il est instructif de voir comment trois pianistes français prestigieux défendent dans ce contexte leur vision interprétative.

Avouons-le d'emblée, , nous a franchement déçu au fil d'un Concerto n° 13 en ut majeur K 415 linéaire, monocorde, tour à tour prosaïquement apathique ou vaillamment psychorigide – même au fil des épisodes contrastés du rondo final.  Le pianiste français que l'on a connu autrement plus inspiré dans de tout autres répertoires donne, ne serait-ce que par son attitude au clavier ou le peu d'attention apporté aux répliques orchestrales, une curieuse impression, mélange d'indifférence polie voire de singulier ennui face à l'œuvre.

Au contraire, , sur le même instrument, offre un Concerto n°24 quasi idéal et autrement habité, partagé entre sourde angoisse (tout le premier temps, l'essentiel du final) et demi-sourires nuancés. Le pianiste veille tout autrement à établir un vrai et intense dialogue avec l'orchestre, en particulier avec ces vents si prégnants, et offre, outre une variété de touches et de couleurs, une aération des textures et un éclairage des voix tout à fait libératoires. En résulte une parfaite lisibilité psychologique du parcours de l'œuvre, avec ces éclaircies très passagères (le larghetto central) mais aussi ce sentiment d'une obscure fatalité gagnant de proche en proche la déclinaison des variations du finale.

choisit – outre un autre piano, ce qui nous vaut un substantiel et conséquent changement de plateau – d'autres options, très théâtrales voire opératiques, avec un jeu beaucoup plus au fond du clavier, au fil de l'autre concerto en mode mineur de la série, le célèbre vingtième en ré. Sans doute cette approche volontaire, à bras le corps, aurait-elle pu ou dû bénéficier d'un timing de répétition plus important pour une mise en place optimale, tant dans l'ordonnancement des tempi, que de la structure dialogique : chef et soliste ne semblent pas toujours partager la même conception de l'œuvre surtout au fil de l'Allegro initial, assez décousu dans ses enchaînements tutti/soliste. Mais Fournel impose la donne avec une autorité confondante, tour à tour volontaire par la véhémence quasi beethovénienne du propos (il choisit d'ailleurs les cadences du compositeur dans les temps extrêmes) ou pudique dans son espérance lyrique (la romance centrale idéalement fleurie et chantante), et joue la carte de la détente souriante, celle d'un dramma giocoso au fil de la coda du final, vraiment conquérante pour clôturer en beauté et dans une joie non dissimulée ce marathon Mozart.

Crédits photographiques : © Ugo Ponte /Onl

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Espace cinéma de l’ancienne gare Saint-Sauveur : 16h30. Franz Liszt (1811-1886) : deuxième année de pèlerinage, l’Italie, S.161. Kevin Chen, piano

18h30 : Frédéric Chopin (1810-1849) : Variations sur « La ci darem la mano » de Mozart op. 2. Maurice Ravel (1875-1937) : Gaspard de la Nuit M.55 ; Toru Takemitsu (1930-1996) : Rain Tree sketch ; Mili Balakirev (1836-1910) : Islamey, fantaisie orientale op. 18. Masaya Kamei, piano

20h : Nouveau Siècle. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : concertos pour piano n°13 en ut majeur KV 415 ; n° 24 en ut mineur KV 491 ; n° 20 en ré mineur KV 466. Pierre-Laurent Aimard (13), Adam Laloum (24), Jonathan Fournel (20), piano. Orchestre National de Lille, direction : Joshua Weilerstein

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