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Songes, le très curieux premier disque concertant d’Élodie Vignon

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Jean Sibelius (1865-1957) : le retour de Lemminkäinen, opus 22 n° 4 ; le Barde, poème symphonique opus 64. Gabriel Fauré (1845-1924) : Ballade en fa dièse majeur, opus 19, version avec orchestre. Manuel de Falla (1876-1946) : Nuits dans les jardin d’Espagne. Elodie Vignon, piano Steinway modèle D ; Czech Viruosi, direction : Eric Lederhandler. 1 CD Cyprès. Enregistré en l’auditorium Leoš Janáček de Brno du 6 au 8 septembre 2023. Notice de présentation en français et anglais. Durée : 52:05

 
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Après trois récitals solistes très remarqués (dont un remarquable album Dutilleux Ledoux, Clef d'or ResMusica) pour le même label Cyprès, nous livre, avec ces « Songes », ses premières gravures avec orchestre 

Ce premier disque concertant pour le label belge indépendant Cyprès, sa maison de disques attitrée, permet à la pianiste de réunir deux œuvres qui lui tiennent particulièrement à cœur.

De la Ballade en fa dièse majeur opus 19, l'on sait que rédigea dans un premier temps (1877) la version pour le seul clavier. Il fut amené par l'entremise de son professeur et ami Saint-Saëns, à présenter l'œuvre à Franz Liszt. Le maître, déjà d'un âge respectable, devant la complexité et le peu de commodité digitale de ce premier jet conseilla à Fauré d'en tirer une adaptation « simplifiée » avec orchestre, qui en révèlerait d'autres couleurs. Qu'importe la version choisie : l'ambitieuse partition, si proustienne avant la lettre, est sans doute l'un des sommets d'inspiration et de réalisation de la première manière du maître français. joue au concert ou en récital chacune des deux rédactions et en a choisi d'en retenir la mouture « définitive » pour augurer ce disque (dé)concertant aussi onirique que subtil. Son touché perlé et sa sonorité ronde et lumineuse y font merveille. Elle réussit la gageure stylistique d'en unifier la trame narrative malgré le côté disert voire épars de l'œuvre, lié à son projet initial – une suite de pièces séparées – réunifiée en un grand tout. L'œuvre avance sans cesse et file droit sans coquetteries déplacées ou minauderies superficielles, oublieuse presque de l'hommage discret et aquatique à la barcarolle de Chopin écrite dans la même tonalité. Notre pianiste est très bien suivie dans ses intentions par , à la tête des Cezch Virtuosi assez concernés (de belles interventions des bois), malgré des pupitres de cordes un rien fades ou fébriles (à 2'57 » par exemple). Que n'empêche voici une des versions de référence – au côté de celle de et (Warner) de l'œuvre, du moins dans cette rédaction.

Sans tomber dans le cliché ou l'à-priori, les Nuits dans les jardins d'Espagne composé par un de 32 ans ( l'âge de Fauré lorsqu'il rédige sa ballade !) par leur évocation pittoresque, leurs couleurs fauves, leur ivresse presque tactile ont toujours été, malgré une lourde dette langagière envers l'école française impressionniste – un terrain de chasse privilégié des solistes – et des chefs – hispaniques ou latins : rappelons les versions quasi incontournables d'Alicia de Larrocha/Rafaêl Fruhbeck de Burgos (Decca) ou de Josep Colom en compagnie de (HM). Nos présents interprètes y tentent une approche plus mesurée et moins uniment sensorielle, plus dominée par la pure raison musicale que par l'instinct uniment coloriste ou pittoresque (un peu dans la lignée de la version d'Haskil avec Markevitch – Praga ou Decca) ou des deux versions plus « exotiques » de avec Fricsay ou Kubelik (DGG). Le jeu toujours évocateur, presque « parfumé » d' séduit par son côté cristallin et rutilant dans la première section d'En le Généraliffe, et la Danza Lejana est irradiée de mystère fauviste et de demi-teintes boisées et blafardes. Mais sur la longueur de l'œuvre, il manque, de par cette démarche « objectale » ces incises ruptrices et imprévisibles, ces ruades presque matamoresques, ce feu sous la cendre menant lentement aux grand climaxes des mouvements extrêmes : la faute en incombe aussi – sinon avant tout – à un orchestre quelque peu prosaïque et atone et à la direction un rien trop carrée et prévisible d'. Bref, cette lecture, certes plus qu'honorable, s'avère en assez net retrait face à l'exemplaire réussite du tandem Tharaud/Langrée (Erato) fêtée en ces colonnes (Clef ResMusica), il y a quelques semaines, beaucoup plus mobile dans sa plastique.

Reste le pourquoi d'un couplage avec deux pages symphoniques de Sibelius, pour le moins surprenant – alors que par exemple, l'on aurait pu programmer en complément de ce disque toujours bien court, en cette année anniversaire, la tardive mais superbe fantaisie en sol opus 111, si délaissée, de , voire comme trait-d'union entre ces deux versants concertants, celle, encore plus mal-aimée de Claude Debussy, dont Élodie Vignon a pourtant gravé une belle intégrale des Études. Augural, le Retour de Lemminkaïnen est la plage conclusive d'une vaste symphonie programmatique, dont la péroraison triomphale est en totale opposition avec l'incipit intimiste de la ballade fauréenne. De surcroît, la prise de son très sèche et assez confuse (la coda !) dans l'étagement des plans sonores et le manque de soyeux – et surtout d'ampleur – de pupitres de cordes insuffisamment fournis disqualifient cette version – pourtant armée des meilleures intentions dans son ordonnancement expressif ou architectonique. Les gravures de Vänskä à Lahti (BIS), de Salonen à Los Angeles (Sony) ou d'Ormandy à Philadelphie (Warner) donnent une tout autre perspective bien plus irrépressible à cette page festive et demeurent des références exemplaires. Quant au Barde, elliptique et dépressif poème symphonique sans réel programme, qui referme le disque, il entame une grande période de glaciation atmosphérique après les luxuriantes nuits espagnoles la précédant. L'interprétation soigneusement détaillée, avec de superbes pupitres solistes de bois, n'atteint toutefois pas la sourde angoisse que pouvaient y insuffler un à Lahti (Bis) ou Helsinki (DGG) ou le climat de deuil infini et sourd, distillé au fil de la version d' (Chandos), cet immense chef sibélien si méconnu ou injustement oublié.

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Jean Sibelius (1865-1957) : le retour de Lemminkäinen, opus 22 n° 4 ; le Barde, poème symphonique opus 64. Gabriel Fauré (1845-1924) : Ballade en fa dièse majeur, opus 19, version avec orchestre. Manuel de Falla (1876-1946) : Nuits dans les jardin d’Espagne. Elodie Vignon, piano Steinway modèle D ; Czech Viruosi, direction : Eric Lederhandler. 1 CD Cyprès. Enregistré en l’auditorium Leoš Janáček de Brno du 6 au 8 septembre 2023. Notice de présentation en français et anglais. Durée : 52:05

 
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