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Lausanne. Opéra. 5-II-2017. Ambroise Thomas (1811-1896) : Hamlet, opéra en 5 actes et 7 tableaux sur un livret du compositeur de Michel Carré et Jules Barbier d’après la tragédie de William Shakespeare. Mise en scène : Vincent Boussard, assisté de Natascha Ursuliak. Décors : Vincent Lemaire. Costumes : Katia Diflot. Lumières : Guido Levi. Avec Lisette Oropesa, Ophélie ; Stella Grigorian, La Reine Gertrude ; Régis Mengus, Hamlet ; Philippe Rouillon, Claudius ; Benjamin Bernheim, Laërte ; Daniel Golossov, Le Spectre du Roi défunt ; Nicolas Wildi, Marcellus/2e fossoyeur ; Alexandre Diakoff, Horatio/1er fossoyeur ; Marcin Abela, Polonius ; Gilles Andreotti, figurant-acrobate. Chœur de l’Opéra de Lausanne (Chef de chœur : Jacques Blanc). Orchestre de Chambre de Lausanne. Direction musicale : Fabien Gabel.
Après Mulhouse, Strasbourg, Avignon, Marseille, la production de Hamlet d'Ambroise Thomas magistralement mise en scène par Vincent Boussard fait une halte glorieusement reçue à l'Opéra de Lausanne. Un grand moment d'opéra.
Quand en 1996 sur la scène du Grand Théâtre de Genève, Natalie Dessay, avec ses aigus d'alors, chantait Ophélie aux côtés du Hamlet de Simon Keenlyside, dans une mise en scène du duo Patrice Caurier et Moshe Leiser, on se disait qu'on avait vu la version de référence de l'opéra d'Ambroise Thomas et que plus rien ne pourrait nous émouvoir à ce point. C'était oublier que l'opéra, aujourd'hui, réussit encore à renverser les certitudes. À Lausanne, où le flair et le goût semblent se donner rendez-vous à l'Opéra, la production de cet Hamlet d'Ambroise Thomas sublime la magie du spectacle. Une mise en scène intelligente, une direction d'acteurs formidable, des chanteurs investis et se potentialisant les uns les autres forgent le succès d'un opéra malheureusement trop méconnu du grand public pour avoir la chance de le voir plus souvent qu'en l'espace d'une décennie.
Actrice centrale de ce succès : la soprano Lisette Oropesa. Elle n'a pas les aigus stratosphériques qu'avait Natalie Dessay (qui les aura jamais ?). Elle n'a pas non plus sa folie théâtrale. Et pourtant, elle offre avec « son » Ophélie, un personnage vocal et théâtral bouleversant d'amour, de désespérance, d'ingénuité et d'authenticité comme il est rare d'en voir et d'en entendre.
L'impermanence du théâtre vivant est chose magique. Il vous emmène dans l'émotion soudaine, vous transporte aux larmes, vous noue délicieusement le ventre. Quelle extraordinaire sensation. Ainsi, Lisette Oropesa (Ophélie), froissant les pages d'un cahier d'écolier pour en faire d'improbables papillons, se lovant dans une baignoire, trônant solitaire au centre de la scène, pour y chanter son À vos jeux, Messieurs… hymne funèbre et désespéré à l'amour qu'elle porte pour Hamlet reste un moment transcendental absolu. Bien sûr, l'inspiration musicale d'Ambroise Thomas illustrant ces strophes tient du génie. Certes, les mots d'Ophélie sombrant dans la folie amoureuse sont d'une force expressive à couper le souffle. Mais, les chanter, les dire comme la soprano Lisette Oropesa, tout à coup soutenue en même temps qu'entraînant un Orchestre de Chambre de Lausanne jusqu'ici presque détaché de l'intrigue, relève du miracle artistique qu'on voudrait ne jamais quitter et voir se répéter sans cesse.
Incontestablement, Vincent Boussard est un maître metteur en scène. Sur une scène libre de tous accessoires, devant le gigantisme d'un décor unique représentant les hauts murs du château d'Elsener, de réussir aussi limpidement à raconter l'intrigue de cet Hamlet, obnubilé par sa vengeance du meurtre de son père au point de ne pas voir l'amour débordant d'Ophélie, est une splendide performance.
Aux côtés de cette Ophélie miraculeuse, en résonance à ses legato merveilleux, à sa diction parfaite, à son étonnante et parfaite préparation, les autres protagonistes s'investissent dans la trace de la soprano américaine. Ainsi, malgré les différences vocales évidentes, il se crée une unité d'intention dramatique exceptionnelle. Ainsi Régis Mengus (Hamlet) s'engage dans son personnage avec une débordante énergie. Son Hamlet est loin du rêveur shakespearien. Ici, il exprime sa jeunesse, sa détermination vengeresse, avec un investissement théâtral total. Il théâtralise tant son personnage qu'on le surprend parfois parlant, vociférant plutôt que chantant. Son impétuosité le pousse vers une expression vocale rude et engagée en adéquation avec le personnage imaginé par la mise en scène. À de courts instants, on note cependant des aigus serrés et détimbrés. Le rôle est certes écrasant. Il demande toutefois une technique vocale aguerrie de crainte d'abimer l'instrument.
L'autre couple de l'intrigue est théâtralement crédible même si Stella Gregorian (la reine Gertrude, mère d'Hamlet, épouse du roi Claudius) et Philippe Rouillon (Claudius, roi du Danemark, époux de la reine Gertrude, beau-père d'Hamlet) frisent parfois la caricature vocale. La faute à un certain manque de musicalité du baryton. Si sa diction est irréprochable, il possède un instrument vocal puissant dont il use exagérément. Ces excès obligent la mezzo-soprano Stella Grigorian à forcer sa voix, la portant vers de désagréables stridences. Dommage, car, à l'image de son air Dans son regard plus sombre, sa « vraie » voix s'avère beaucoup plus intéressante que celle qu'elle nous oblige à subir dans ses duos.
Belle initiative de l'Opéra de Lausanne que de donner au ténor franco-suisse Benjamin Bernheim (Laërte) un rôle à la mesure de ses superbes moyens. Remarqué dans nos colonnes en 2009 déjà, avec sa voix d'une extrême limpidité, son articulation française formidable, sa projection vocale impeccable, Benjamin Bernheim illumine la scène de son chant.
On note la belle tenue de Daniel Golossov (Le spectre du roi), de Nicolas Wildi (Marcellus) et du toujours excellent acteur (et chanteur) Alexandre Diakoff (Horatio/1er fossoyeur), sans omettre la remarquable prestation du Chœur de l'Opéra de Lausanne en constant progrès.
Si la direction d'orchestre de Fabien Gabel apparaît quelque peu brusque dans les deux premiers actes, le chef français prend ensuite toute la mesure du lyrisme d'Ambroise Thomas pour porter l'Orchestre de Chambre de Lausanne vers une interprétation d'une grande beauté, quand bien même cette musique demanderait un orchestre peut-être plus fourni en cordes que la fosse de l'Opéra de Lausanne ne peut en contenir.
Crédit photographique : @ Marc Van Appelghem
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Lausanne. Opéra. 5-II-2017. Ambroise Thomas (1811-1896) : Hamlet, opéra en 5 actes et 7 tableaux sur un livret du compositeur de Michel Carré et Jules Barbier d’après la tragédie de William Shakespeare. Mise en scène : Vincent Boussard, assisté de Natascha Ursuliak. Décors : Vincent Lemaire. Costumes : Katia Diflot. Lumières : Guido Levi. Avec Lisette Oropesa, Ophélie ; Stella Grigorian, La Reine Gertrude ; Régis Mengus, Hamlet ; Philippe Rouillon, Claudius ; Benjamin Bernheim, Laërte ; Daniel Golossov, Le Spectre du Roi défunt ; Nicolas Wildi, Marcellus/2e fossoyeur ; Alexandre Diakoff, Horatio/1er fossoyeur ; Marcin Abela, Polonius ; Gilles Andreotti, figurant-acrobate. Chœur de l’Opéra de Lausanne (Chef de chœur : Jacques Blanc). Orchestre de Chambre de Lausanne. Direction musicale : Fabien Gabel.