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Le livret d’opéra en France au XVIIIe siècle

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DIDIER Béatrice. Le livret d’opéra en France au XVIII e. siècle. Ed : Voltaire Foundation University of Oxford, SVEC, 2013.351p. ISSN 0435- 2866

 
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Béatrice Didier, éminente spécialiste du XVIIIe siècle à la fois littéraire et musical, accomplit ici un travail de pionnier en nous faisant découvrir les livrets d’opéras français dont la production s’étend au cours d’une période particulièrement féconde et innovante, du milieu du XVIIe aux premières décennies du XIXe siècle.

livret-operaCe faisant, l’auteur nous révèle la face cachée du XVIIIe siècle en abordant des œuvres riches d’un imaginaire poétique que masque l’exigence de rationalité des Lumières, ces livrets qui donnent leur grandeur à des œuvres lyriques chargées de sens et pouvant revêtir une dimension sacrée.
Cette démarche totalement neuve implique des recherches de première main dans les archives où sont conservés ces livrets, les inventaires et les comptes des académies, des maisons d’opéras, des textes des législateurs, auxquels s’ajoute l’examen des textes originaux, même des partitions, telles celles de Rameau où sont relevées les corrections du musicien comme pour une édition savante, la lecture des gazettes et surtout des correspondances entre écrivains et musiciens qui constituent un stimulant pour la création d’œuvres nouvelles, ainsi des précieuses lettres échangées entre Voltaire et Rameau où Voltaire trouve un tremplin à sa vitalité et surtout où il s’investit pour cet « alliant le spectaculaire à un sentiment de terreur sacrée ».
Méconnus le plus souvent, sauf ceux des opéras représentés de nos jours, ces livrets sont innombrables. B. Didier s’est chargée d’un répertoire d’une centaine de librettistes ayant chacun signé plusieurs textes, liste qui est loin d’être exhaustive mais qui a l’avantage d’envisager la place qu’ont pu tenir ces oeuvres dans le patrimoine littéraire français.

En dépit d’une critique musicale arrogante qui n’a cessé d’accabler ces livrets de sarcasmes (et cela dure encore de nos jours), au XVIIIe siècle, c’est le librettiste qui est, en France, considéré comme le créateur de l’opéra. La parole prime sur la musique. Affirmation certes à nuancer et qui est liée alors aux discussions concernant les mérites de la musique française et de la musique italienne, l’une privilégiant la parole, l’autre, la musique.
Quoi qu’il en soit, dans l’effervescence générale et l’engouement pour le théâtre lyrique, alors que l’Académie royale de Musique devient le théâtre d’Europe vers lequel se tournent tous les regards, nos écrivains, que l’opéra enchante, loin de les mépriser, se font eux-mêmes auteurs de livrets Ce sont essentiellement Fontenelle, à la fois librettiste et théoricien, auteur, avec Th. Corneille du célèbre livret de Psyché et de Bellerophon (musique de Lully, 1678) et de cinq autres textes ; Rousseau qui en laisse six, librettiste et compositeur du Devin de village et aussi de l’intéressant Pygmalion où le texte alterne avec la musique. Voltaire, quant à lui, ce merveilleux connaisseur de l’opéra, en écrit sept. Il s’enflamme pour le génie de Rameau dont il a perçu la « hardiesse » comme le dit si bien B.D. qui reconnaît en lui un « lutteur » Voltaire, en effet, se dit prêt à tout sacrifier pour que Samson (1732-1734) de Rameau soit monté, œuvre dont il est le librettiste, et cela sans succès. Son livret de La Princesse de Navarre sera, quant à lui, mis en musique par Rameau en 1745 ; (il sera remanié par Rousseau avec Les Fêtes de Ramire) qui mettra également en musique Le Temple de la gloire (1745). Notons que le compositeur est loin de se soumettre à son librettiste. Beaumarchais laisse en 1787 un Tarare (Salieri) qu’il doit modifier pour échapper de justesse à la censure Enfin, un peu à part, Sedaine laisse vingt textes divers retenus par Gluck, Philidor et Grétry.

« Ecrire un livret, nous dit B. Didier, c’est entrer dans le jeu polémique des Anciens et des Modernes ». Le librettiste arrive à point nommé pour répondre aux attentes des Modernes et réciproquement : ses œuvres libèrent des contraintes classiques, des règles imposées à la tragédie comme de l’omniprésence de l’alexandrin.
Curieusement, ces œuvres vivent leur vie propre sans même porter de nom, « paroles » pour Rousseau, plus généralement appelées « poèmes » sans autre précision. Le terme de livret n’apparaît pas avant 1867, celui de libretto étant utilisé à partir de 1823. Pas de statuts, bien sûr, ni de droits d’auteurs. Cependant un certain nombre de livrets sont édités chez Ballard ou d’autres maisons de renom et aussitôt, à la ville, du moins, commercialisés, divulgués, surtout à l’occasion des représentations d’opéras. Ils sont parfois conservés dans des recueils dits « d’opéras » et dépourvus de musique, dans d’autres reliés parfois luxueusement, voire aux armes royales. Ils se font au moins connaître par le jeu de la transmission orale, de la récitation, l’habitude en étant prise à la Cour dès le XVIIe siècle et l’on sait que Louis XIV prend plaisir à les écouter comme plus tard Marie-Antoinette. Ces livrets forment un bien commun et les musiciens, Gluck notamment prennent conscience de leur pouvoir, s’ils sont de qualité, de valoriser la partition.

Le bon librettiste se doit de proposer un poème que le compositeur peut aisément mettre en musique : la prosodie, les accents, la coupe des vers, le dessin de la phrase, les rythmes sont travaillés dans le plus petit détail avec le musicien. Il choisit les chanteurs en fonction de la tessiture de leur voix et le nom du personnage convenant le mieux au rôle, cela bien avant Mozart (qui choisit d’autres tessitures que celles de Danchet pour son opéra Idoménée).

Dans les œuvres où la danse intervient, il s’agit de fait correspondre à la rhétorique verbale une rhétorique du geste et du mouvement.
« L’âme du spectacle », comme le dit l’auteur, le librettiste se fait dramaturge, metteur en scène et choisit décors et machineries. Ainsi des Fêtes vénitiennes de Danchet et Campra dont le succès est tel qu’il fait ombrage aux représentations de Cinna, note Voltaire.
De tous les librettistes doués, tel Louis de Cahusac, l’auteur des exquises Fêtes de l’Hymen et de l’Amour de Rameau, c’est de loin « l’insurpassable Quinault » comme le déclare encore ce cher Voltaire, dont les œuvres surpassent, de l’avis de tous, les sources classiques, notamment Racine et même et de loin, ajouter-t-il, les œuvres de l’Antiquité. L’excellence de l’auteur des livrets de Lully, dont Atys (1676) repris par Piccini en 1780 et Armide (1686) repris par Gluck en 1777 est unanimement reconnue et sa gloire s’étend bien après celle de Lully, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Et c’est encore pour le livret de Quinault que William Christie choisit de monter Atys, ressuscitant avec un raffinement inouï ce chef d’œuvre qui n’a pas pris une ride.

Dans le théâtre lyrique au-delà du drame, se lit une aspiration à la concorde. Pas de tragédie sanglante mais, de préférence, une fin heureuse. L’auteur voit dans cette orientation la préfiguration du motif du pardon et de la compassion chez Mozart qui n’ignore pas l’œuvre de Rameau. Les hommes peuvent marcher sur terre avec les dieux dans la fusion du profane et du sacré tandis que le merveilleux, enchanteur ou terrifiant, ouvre les portes du rêve au-delà du réel. L’antithèse, « figure fondamentale de l’opéra », éclaire la beauté de paysages que la constante référence à l’antiquité permet de déréaliser. L’auteur peut dès lors nous conduire dans ce prodigieux « réservoir de mythes » que sont les livrets chargés d’un sens qui donne aux œuvres leur dimension la plus haute.
Non sans enthousiasme et pour envisager cet univers mythique dans sa globalité, l’auteur nous embarque vers les rives germaniques et l’univers faustien non sans suivre les pas d’Orphée depuis les origines montéverdiennes de l’opéra jusqu’à Gluck. Les grands aspects de cette mémoire culturelle abreuvant l’imaginaire sont ici magistralement abordés : l’épreuve du feu et sa polyvalence, la descente aux Enfers (occasion d’envisager les interprétations françaises du personnages de Don Giovanni) et la montée vers la lumière que B. Didier suit jusqu’à La Flûte enchantée de Mozart.

L’opéra-ballet des Indes galantes de L. Fuzelier et Rameau (185 représentations entre 1735 et 1761 et onze pour l’entrée des Incas), loin d’être un seul plaisir de l’ouïe et de l’oeil, célèbre, nous dit B. Didier, le pouvoir divin du soleil qui pénètre la conscience humaine.

Soleil, on a détruit tes superbes asiles

Il ne te reste plus de temples que nos cœurs » (Huascar).

Zoroastre (beau livret de L. de Cahusac) s’inscrit dans cet esprit en amplifiant les motifs.

Le long chapitre Gémellité et descente aux Enfers aborde la splendeur du mythe de Castor et Pollux, dans cet opéra de Rameau (1737) dont P.J. Bernard (Gentil-Bernard) a signé le livret. Ces jumeaux dont l’un, l’immortel fils d’Apollon, Pollux, guérit son frère humain de la mort et dont la transformation astrale réunit ce qui avait été séparé, l’âme et le corps, l’homme et son double, dans le mystère de la nuit et pour l’éternité. Nourries de J.-B. Pontalis, d’O. Rank, de Freud et des travaux sur les mythes, ces pages transfigurent la lecture de l’opéra.

Notons que dans La Vestale de Spontini (1807), E. de Jouy reprend les derniers mots de Phèdre mourante chez Racine mais pour célébrer la fusion de l’amour pour Vesta et de l’amour humain, en dépassant la tragédie dans la contemplation.

Tout mon crime, Vesta, est d’aimer ton image

Et nos feux ont des tiens toute la pureté.

Nous présentons ici une approche bien sommaire, avec de dangereuses simplifications, d’un ouvrage d’exception.
Il n’y manque que quelques extraits de livrets.
Une bibliographie fournie, plus de 500 titres, signale même les ouvrages sous presse : parmi eux, la publication des deux journées d’études consacrées au Dictionnaire de musique de Rousseau, organisées par B.D. et Emmanuel Reibel dans le cadre de leur séminaire de l’E.N.S. sous presse, chez Vrin. La somme indispensable sur ce pan méconnu des lettres françaises et de l’opéra. Ouvrage monumental, à la pointe de la recherche et d’une écriture raffinée.

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