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Si le patrimoine culturel, dans son acception la plus étroite, peut être considéré comme un ensemble de symboles et de mouvements nés de l’Histoire, ensemble qui se morcelle en une multitude de traditions populaires où se côtoient vérité et légende, réalité et imaginaire, celui que cette question préoccupe pressent qu’il est bien plus que cela

 

Si le patrimoine culturel, dans son acception la plus étroite, peut être considéré comme un ensemble de symboles et de mouvements nés de l’Histoire, ensemble qui se morcelle en une multitude de traditions populaires où se côtoient vérité et légende, réalité et imaginaire, celui que cette question préoccupe pressent qu’il est bien plus que cela.

En effet, celui qui examine attentivement le patrimoine culturel du Maroc y trouvera une tradition nouvelle, dont la genèse remonte loin dans le temps, confluence des nombreux événements qu’a vécu ce pays ; une tradition qui, si elle montre quelque signe d’affaiblissement, ne tire pas moins sa source d’une grande variété de cultures et civilisations ; une tradition capable de relever les défis lancés par chaque époque, par les problèmes dans lesquels l’être humain se débat aujourd’hui.

Nous, Marocains, jouissons du patrimoine le plus riche de toute la région : des habitudes et traditions les plus diverses, différentes selon chaque région du Maroc, passant par la cuisine, le costume, les us et coutumes, jusqu’à la poésie et l’art de la parole qui sont considéré tous deux comme la chronique relatant la vie de ce pays. Lorsque nous évoquons la poésie du Maroc, nous ne pouvons omettre de citer l’école des origines, toujours vivante aujourd’hui ; oasis ombragée qui apparaît du plus loin dans le désert ; l’école qui a donné toute sa créativité au Maroc ; l’arbre aux fruits abondants qu’est le Melhoun.

Notre art du Melhoun ne se résume pas à de la poésie exprimant des sentiments, il est la mémoire qui a construit l’histoire du Maroc, c’est lui qui a instruit ses enfants, qui a appelé les Marocains à s’attacher à tout ce qui est beau. Il est aussi la seule forme d’art – je dis bien la seule – qui a joué à la perfection le rôle de trait d’union entre le passé et le présent de notre peuple, que ce soit sur le plan de l’espace ou des différentes cultures ; il reste apte à construire le Maroc d’aujourd’hui, grâce aux sagesses véritables transmises par ses poèmes.

Il est tout cela et plus. Sa conservation ne doit pas consister à le placer dans un musée et à l’exposer comme s’il représentait tout ce qui nous reste du passé. Nous devons bien plutôt le considérer comme le point de départ d’un parcours intellectuel reliant les différentes époques, parcours caractéristique du Maroc. Il ne nous est pas permis d’arrêter la marche du Melhoun en ce début du XXIe siècle.

Nous ne voulons pas d’une nouvelle époque qui résoudrait nos seuls problèmes matériels mais stopperait dans sa course un mouvement intellectuel qui a consigné l’histoire entière du Maroc. La conservation du Melhoun est un devoir pour quiconque est épris de créativité, de vérité et de beauté et tout un chacun est concerné. En tout premier lieu les créateurs, les humanistes amoureux de littérature.

Je ne voudrais pas me montrer pessimiste sur l’avenir de la musique mais les données du réel parlent d’elles-mêmes. Comparons les soirées d’antan, les fêtes où ne s’entendaient que les formes les plus raffinées du chant, des mélodies qui nourrissaient l’âme et enchantaient l’esprit, des instrumentations inventives, composées par de véritables créateurs, avec ces genres musicaux qui nous sont venus pour saccager le bon goût unanimement partagé jusque là. Certaines instances du marché mondial les ont adoptés, convoitant de simples profits matériels. Ce sont ces formes dégénérées qui ont remplacé le véritable art musical et font office désormais d’étalon du bon goût. Nous en sommes arrivés aujourd’hui au point que lorsqu’un artiste authentique exécute une jolie mélodie au rythme balancé, seuls l’élite et les initiés sont à même de l’apprécier ; les autres attendent ce qui suivra, ce qui s’adressera directement à leurs membres et à leurs organes, à leur instinct sous sa forme la plus primaire, avec des mélodies qui n’ont de mélodies que le nom et des paroles qui n’en sont pas, avec des refrains sauvages qui font le corps se remuer mais laissent l’âme parfaitement indifférente.

Le Maroc, pays splendide, est riche de ses cultures populaires, en particulier sur le plan musical. Cette richesse revient essentiellement à la diversité de ses traditions d’une région à l’autre et sur leurs influences mutuelles. C’est ce qui donne aux arts de ce pays une dimension esthétique spécifique, qui caractérise seul les peuples qui se sont abreuvés à la source de civilisations millénaires.

Nous allons ici œuvrer à mettre à la portée du lecteur certains genres musicaux du Maroc, même succinctement. Notre but, qui est de présenter l’art du Melhoun en particulier ne nous empêche pas de donner un aperçu rapide des principaux genres musicaux traditionnels du Maroc, tous riches de leurs rythmes et de leurs thèmes. Nous citerons :

A

    . La musique tachelhit (chleuh) de l’Anti-Atlas, dans le Sud marocain. Elle se caractérise par une poésie magnifique, qui a joué un rôle d’avant-garde pour résoudre un certain nombre de problèmes sociaux de cette région. Au niveau musical, elle est riche de ses rythmes et mélodies splendides, qui offrent au chercheur un domaine d’investigation fertile à explorer. On y découvre des joyaux, tant dans le domaine musical que littéraire.

B. La musique tamazight, du Moyen-Atlas. Elle comporte des formes chantées aux rythmes et mélodies caractéristiques. La technique vocale est également spécifique.

C. La musique tarifit (rifaine) de la chaîne des monts rifains. Ses rythmes lui sont propres, avec des chants individuels et collectifs. Les danses y suggèrent le combat, l’attachement à la patrie et la grandeur.

D. La magnifique musique hassani, fille du Sahara du Sud du Maroc. La force de ses poèmes, abordant les problèmes de l’homme sahraoui, ses coutumes et traditions, est accompagnée d’une musique puissante aux rythmes caractéristiques.

E. La musique dite Aïta se subdivise en quatre genres qui sont : La Aïta jabaliyya (montagnarde) du Nord du Maroc, la Aïta marsaouiyya de la région des Chaouiya, la Aïta de la Hasba dans la région des Abda et enfin la Aïta haouziyya de la région de Marrakech.

Sans compter bien sûr, en sus de tous ces genres, la musique andalouse dont les Marocains ont hérité de la civilisation arabo-musulmane d’Andalousie et qu’ils ont marqué de leur sceau authentique. Elle a transité par les zaouïas soufies, ainsi que d’autres formes musicales qui ont commencé à se développer à cette époque.

Le Maroc est également riche de son folklore, source à laquelle se sont abreuvées les musiques populaire et moderne.

Parmi les genres connus, nous est arrivé des confins de l’Afrique noire le folklore des Gnawas, à l’époque de notre souverain Ismaël ; on trouve aussi le « hamdouchi », le style du Touat, le « aïssaoui » et bien d’autres, authentiquement marocains ; ils ont tous eu une influence dans la cristallisation du genre qui représente la quintessence de l’art musical marocain : il s’agit du Melhoun.

De nombreux termes génériques ont été utilisés pour désigner le Melhoun. On trouve : « Qarîdh », la « langue », les « paroles », le « nidhâm », la « poésie », l’« âme », la « science du génie » et enfin le Melhoun.

On pense que ce dernier terme dérive de la racine « lahn », qui signifie mélodie ; malhûn désignerait donc des paroles dont la mélodie serait déjà prête ; le poète n’ayant plus qu’à composer selon des mesures pré-établies. Les paroles se chanteraient donc sans avoir besoin d’être mises en musique, celle-ci existant préalablement à celles-là.

Voyons maintenant comment ce genre est apparu.

La naissance de ce patrimoine authentique est à chercher dans le Sud marocain, plus exactement dans la région du Tafilalet, à l’époque des Almohades, autour de l’année 1 147. Mais il n’a commencé à se développer qu’à partir de l’ère des Saadiens, lorsque des artistes novateurs en ont examiné les mesures et l’on codifié en différents « Surûf », qui sont au Melhoun ce que les taf’ilât sont à la poésie classique. On considère que le premier à s’être consacré à cet art fut le Cheikh Abd el-Aziz el-Maghraoui, qui a désigné le pied métrique sous le terme de « Dân », il est devenu le modèle suivi par les poètes marocains dans leurs compositions. Est apparu après lui le poète el-Masmûdi, qui a lui adopté le mot « Mîli » pour désigner le pied, ce terme ne voulait absolument rien dire mais est tout de même devenu lui aussi un modèle.

Le phare d’où brillait cet art de mille feux étant le Tafilalet, resté jusqu’à présent son berceau le plus prolifique, il n’en reste pas moins que bien d’autres villes ont excellé dans ce genre musical, et n’en sont pas moins devenues aussi importantes que le Tafilalet ; ce sont Marrakech, Meknès, Fès, Taroudant, Asfi, Salé et Rabat.

L’art du Melhoun se joue selon dix modes, nommés :
– Le Bayati de la musique arabe classique, que l’on nomme Maya pour le Melhoun,
– Le grand Hejaz,
– Le Sika,
– Le Araq el-Ajem,
– L’Ispahan,
– Le Hejaz oriental,
– Le Razd andalou,
– Le Raml el-Maya taziriya et
– Le Bughiat Raml el-Maya.

Les rythmes sont au nombre de trois :
– Le Haddari : 4 / 2
– Le Dridka : 8 / 6
– Le Gbahi : 8 / 5

Cette musique habitait le cœur de personnes, des amateurs et des créateurs, issues des catégories sociales les plus diverses. Sous l’impulsion des musiciens professionnels et de l’élite cultivée, il a continué à jaillir du plus profond de la société marocaine. L’art du Melhoun est la voix qui a exprimé les préoccupations des marocains, leurs croyances et leurs émotions. Il représente la sédimentation de la mémoire marocaine à travers les âges. Il est relié à la vie quotidienne des marocains dans leurs bonheurs et malheurs, il est considéré comme l’auxiliaire artistique et culturel le plus important de la civilisation marocaine. Ses poèmes abordent tous les thèmes : spirituels, intellectuels et autres, sous des formes artistiques de toute beauté, alliant la splendeur des images à celle des mots.

Parmi les thèmes abordés par le Melhoun, on trouve les « Tawassoulât ». Dans les recueils, ce sont des poèmes mystiques, composés par de grands hommes du soufisme tel le théologien Laamiri et Sidi Abd el-Qader el-Alami, garant de Fès, qui est considéré comme un des plus grands mystiques du Maroc. Il a composé un ensemble de pièces poétiques évoquant le désir de se fondre dans l’essence divine et des poèmes à la louange de l’Elu, que le salut et la bénédiction de Dieu soient sur lui. Ces poèmes, aux images les plus belles qui soient, ont touché la conscience de tous les arabes car ils ont été composés en arabe classique dans un style non moins beau que celui d’un Ibn Faredh ou d’un autre de ses comparses puis mises en musique.

Le terme « Tawassul » désigne les poèmes d’invocation dans lesquels l’adorateur se confie avec ferveur à son adoré. C’est un thème poétique qui comprend les poèmes de louange, d’action de grâce, d’invocation et de gratitude envers Dieu, exalté soit-il. Apparaissent également des poèmes de remords, de retour à Dieu et d’imploration du pardon divin, ainsi que toutes sortes d’autres thèmes religieux dans lesquels l’artiste se retourne sur sa vie, pleure ses erreurs et ses faux pas.

La louange : Elle peut être religieuse ou mondaine. La première s’adresse au Prophète, à sa noble famille, à ses compagnons, aux saints, mystiques et hommes de Dieu. Quant à la seconde, elle s’adresse aux rois du Maroc et aux grands de ce monde qu’ils soient hommes de religion, nobles, bienfaiteurs ou savants.

Les recommandations : Ce sont des poèmes d’exhortation et des poèmes didactiques, les thèmes qu’ils abordent se recoupent parfois avec ceux des « Tawassulât » ; les plus belles pièces étant celles dans lesquelles l’artiste interpelle les gens en général, ou bien une personne particulière à travers laquelle il s’adresse en fait à lui-même.

Les « printaniers » : Ce sont de splendides tableaux de la nature, décrivant le plus souvent la luxuriance du printemps. Les pièces renferment beaucoup de noms désignant toutes sortes d’arbres, de plantes, de fleurs et d’oiseaux. Mais si le thème mis en exergue dans ce genre est la description de la nature au faîte de sa magnificence, de sa splendeur, ornée de sa plus belle parure, les poètes qui l’ont traité en ont rarement pour autant négligé l’éclat de la beauté féminine, qu’ils ont rêvé dans des pièces galantes appelées « Ochaqi ».

Le « ochaqi » : C’est la poésie amoureuse du Melhoun. Les poètes populaires y ont excellé, décrivant les différents états émotifs engendrés par l’éloignement de l’être aimé, sa rencontre, la séparation, le rendez-vous, les soupirs, les pleurs et la joie.

Le « saqi » : Ce sont des poèmes bacchiques qui célèbrent la bonne compagnie, les réunions entre amis, la gaieté suscitée par le vin. Le poète a ici innové et laissé libre cours à son imagination. On trouve dans ce genre des images ravissantes, représentant superbement le rapprochement de la coupe aux lèvres. Evoquant le fait de boire du vin avec vanité, blâme ou bien encore s’en détournant malgré son attrait. Il y a aussi des poèmes dans lesquels le vin n’apparaît que comme symbole mystique, sans qu’il y ait absolument aucun rapport avec la boisson que l’on nomme « vin ».

La thrène (el-Rithâ’) : Appelée aussi « Azou », le poète y exprime sa douleur, consécutive à la perte d’un être cher, d’un proche, d’un chef patriote, d’un homme de culture, d’un artiste ou d’un héros.

La satire (Hajou) : Elle est lancée pour attaquer un traître, un imposteur, un harpagon, mais il constitue aussi un moyen de flétrir les parasites et les plagieurs en règle générale, pour faire apparaître leur faiblesse et leur vice.

La « Tarjama » : Humour et moquerie, pouvant parfois dévier vers une forme de racisme. Le poète s’y attaque à la charlatanerie, aux faux devins, à la cupidité et à tous les défauts et pratiques détestables qui laissaient perplexe l’élite cultivée.

En fin de compte, le Melhoun ne se limite pas seulement à de belles paroles, mises en poèmes à la magie enchanteresse, il est bien plus, avec tout cela, un riche trésor culturel pour la mémoire universelle, maghrébine en particulier ; c’est un livre ouvert qui nous parle des péripéties de l’histoire, un dictionnaire fidèle qui protège la langue du splendide Maghreb.

(Traduction de l’arabe par Michaël Chik)

Crédit photographique : (c) DR (Saïl El Meftahi à la direction)

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Si le patrimoine culturel, dans son acception la plus étroite, peut être considéré comme un ensemble de symboles et de mouvements nés de l’Histoire, ensemble qui se morcelle en une multitude de traditions populaires où se côtoient vérité et légende, réalité et imaginaire, celui que cette question préoccupe pressent qu’il est bien plus que cela

 

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